Le cas Diane Keaton-Al Pacino

Le cas de Diane Keaton vaut une longue digression…

Dans la catégorie « couples de stars », nous avons plusieurs sous-groupes :

– Les couples ultra-amoureux, ruisselants de complicité, d’attirance mais aussi d’amitié sur les photos :

– deux cas d’école sont Paul Newman et Joan Woodward (cinquante ans de mariage) et, sur une durée dix fois moindre, Alain Delon et Romy Schneider (regardez leurs innombrables photos sur Pinterest, ils irradient de bonheur, d’attirance, de camaraderie, de joie, et le fait qu’un certain nombre de ces photos de presse étaient destinées à booster leur carrière, en surfant sur leur romance hautement photogénique, n’explique pas tout) ;

– de même, Delon et Mireille Darc, amoureux fous, elle surtout, dévorant des yeux son Alain, avec l’impression pleine de candeur et de simplicité d’avoir décroché le gros lot à la loterie (sincère, elle ne s’en cachait pas). (Pour savoir quelle très belle personne Mireille Darc était, je recommande de lire ses mémoires, Tant que battra mon cœur, et le prolongement, Mon père.)

– Les couples « empêchés » :

– Ann-Margret et Elvis, condamnés à un amour caché et à court terme (là encore, un amour empreint aussi bien d’amitié que d’une attirance qui saute aux yeux), car Elvis était un gentleman du Sud, et les gentlemen du Sud respectent la promesse de mariage qu’ils ont faite à une autre ;

– Katharine Hepburn et Spencer Tracy, un amour longue durée que l’on devine plein d’amitié, vivant leur histoire dans un quasi-secret étant donné que lui était marié, catholique et opposé au divorce (mais je ne sais pas si le Bon Dieu préfère vingt-cinq ans de relation extra-maritale à un divorce !).

– Les couples « chagrin d’amour » :

– il est notoire que Bryan Ferry a été ravagé d’être quitté par Jerry Hall pour Mick Jagger (et être quitté aux yeux du monde entier pour plus riche, plus célèbre, plus mythique, plus sexy que soi — plus sexy officiellement, car, pour beaucoup, Bryan est largement au-dessus de Mick… — doit attiser la blessure), et Internet nous permet de découvrir quel a été son visage durant les deux années de leur relation : il était rayonnant comme jamais il ne l’a été autant, avant ou après…

– l’amertume de James Dean faisant vrombir sa moto sur le parvis de l’église lors du mariage de Pier Angeli (la caverne d’Ali Baba qu’est Pinterest regorge de photos de leur couple) ;

– Elisabeth Taylor qui n’a été liée à Montgomery Clift que par une amitié amoureuse, car elle n’avait pas d’autre choix (quel beau couple ils auraient fait… Dans Une place au soleil, ils sont magiques ensemble, quasi jumeaux).

– Les couples « très jolie actrice et réalisateur au physique commun » : Ingrid Bergman-Roberto Rossellini, Monica Vitti-Michelangelo Antonioni, Judy Garland-Vincente Minnelli, Catherine Deneuve-François Truffaut, Anna Karina-Jean-Luc Godard, Roger Vadim et ses magnifiques compagnes ou épouses successives (Bardot, Annette Stroyberg, Catherine Deneuve, Jane Fonda, record à battre), etc.

– Les couples qui ne vont pas bien ensemble :

– sur les images, Orson Welles et Rita Hayworth ne sont pas bien assortis, comme un grand poupon avec une femme très sophistiquée (elle sera bien plus assortie à son mari suivant, Ali Khan, de taille plus petite, et dont le visage est un morphing entre celui de Charles Boyer et d’Henri-Georges Clouzot), et ne donnent jamais l’impression d’être pleinement amoureux. D’ailleurs, on sait maintenant que, actrice la plus glamour de son époque, elle a très probablement représenté avant tout une femme-trophée pour lui et son ego. Je dis cela tout en étant une fan absolue d’Orson Welles (l’image de son apparition dans Le Troisième homme est l’une des plus belles images dans l’histoire du cinéma, pour moi), bien qu’il puisse être un filou : une assez longue séquence du chef-d’œuvre qu’est Othello, tourné à partir de l’été 1948, est un copié-collé d’une séquence de La Chartreuse de Parme, de Christian-Jacque, sorti en février 1948 ;

– Marcello Mastroianni et Faye Dunaway : sublimement beaux tous les deux, mais, étrangement, n’allant pas ensemble ;

– Shelley Winters et Vittorio Gassman, elle très commune, lui du type empereur romain ;

– Jean Gabin, du type gars du peuple, et Marlene Dietrich, la sophistication la plus intense possible ;

– Grace Kelly, Sophia Loren et Mia Farrow beaucoup plus jolies que le prince Rainier, Carlo Ponti et Woody Allen ;

– Lisa Marie Presley et Michael Jackson (qui pourra dire s’ils ont réellement été un couple ?... Leur union était trop une quête impossible, pour elle, et une question d’image, pour lui : elle cherchant son père disparu, le King of rock, dans le King of pop, et lui voulant asseoir son image de King of pop en épousant la propre fille du King of rock) ;

– Frank Sinatra et Ava Gardner, elle étant bien plus spectaculaire que lui (bien des photos d’eux ensemble montrent ça de façon un peu cruelle), mais le couple qu’elle avait formé avec Mickey Rooney quelques années plus tôt avait été encore plus mal assorti ;

– Frank Sinatra et Mia Farrow : visuellement, un père et sa fille androgyne, voire un jeune grand-père et sa petite-fille, c’est un peu gênant, et Ava Gardner ne s’est pas privée de s’en moquer.

– Le couple qui devrait ne pas bien aller ensemble, mais qui va merveilleusement bien ensemble (je crée cette catégorie rien que pour eux) :

– Barbra Streisand et Omar Sharif (dans Funny Girl, et il devait en être à peu près de même dans leur vie privée) : ils n’ont absolument rien en commun physiquement et dans leur façon d’être, ce sont même deux opposés, mais il y a quelque chose de magique entre eux, entre l’énergie ultra-expressive de l’une et la classe empreinte de douceur de l’autre. (Le plus parfait contre-exemple à leur cas est l’absence totale d’alchimie entre Streisand et James Caan dans Funny Lady, la suite — assez terne et pesante, William Wyler n’était plus aux manettes — de Funny Girl.)

– Les couples évidents (leur compatibilité érotique crève les yeux), mais qui n’ont pourtant jamais été ensemble :

– Sophia Loren et Marcello Mastroianni dans leurs quatorze films en commun (je recommande de découvrir le très peu connu La Chance d’être une femme, ils y sont exquis) ;

– Claudia Cardinale tout sourire et Alain Delon dans les photos hors tournage du Guépard ;

– Matt Dillon et Diane Lane dans Outsiders et Rusty James ;

– Anna Karina et Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le fou ;

– Ginger Rogers et Fred Astaire : quand on voit leur complicité dans la danse et dans le jeu —en mode screwball comedy —, on croit à 200 % qu’ils étaient en couple et amoureux (ce n’est pas par hasard si on leur a fait faire dix films ensemble !).

Le cas Brando-Marilyn est un cas unique au monde : impossible de faire à la fois plus beau, plus glamour, plus célèbre, plus iconique et plus fascinant que ce couple, mais ils n’ont été que peu de temps ensemble, et l’ont été de façon secrète. Peut-être que la vive camaraderie qui émane d’eux sur leurs quelques photos en commun est l’explication de cette brièveté. Peut-être aussi que ces deux êtres hyper fragiles et sensibles avaient nécessairement besoin d’être en couple avec quelqu’un de solide. Peut-être aussi que, pour une question d’ego, s’il y a deux icônes dans un couple, il y en a une de trop.

– Les poids lourds du mythe :

– Elizabeth Taylor et Richard Burton (ils me laissent indifférente, mais il faut bien les citer) ;

– Bogart et Bacall (seulement douze ans avant que la Grande Faucheuse ne passe, quelle tristesse…) ;

– Belmondo et Ursula Andress, sex-appeal XXL et complicité XXL ;

– James Dean et Ursula Andress, le couple waouh ! par excellence ;

– Alain et Nathalie Delon, la perfection sur terre, non ?? Cette gémellité au sommet de la beauté plastique, cette harmonie tendre et fière entre eux, cette complicité profonde, tout cela, on ne le perçoit pas sur les photos de Delon avec ses magnifiques partenaires à l’écran, Monica Vitti, Jane Fonda, Marie Laforêt, Mariane Faithfull, Ann-Margret, Bardot, etc., c’est sans étincelle, sans profondeur ;

– Brigitte Bardot et Sami Frey (la séduction made in France à son point de perfection, cocorico) ;

– Vivien Leigh et Laurence Olivier (une évidence quand on les voit ensemble).

 

Et puis, nous avons le cas de Diane Keaton et Al… Vous pouvez chercher, il est impossible de trouver un cas similaire parmi les vedettes aussi connues.

Le cas d’une ravissante actrice amoureuse d’un acteur dans ses âges, qui s’entendent à merveille, qui forment un couple fictif lors de trois tournages en commun, dans des rôles instantanément devenus mythiques, mais qui ne seront en couple que pendant quatre années en cinquante ans, quatre années émaillées de nombreuses ruptures.

Le cas d’une jeune actrice de vingt-cinq ans qui, en 1971, flashe instantanément sur son partenaire de tournage, dans un film qui les rend mondialement célèbres du jour au lendemain, à qui elle est merveilleusement assortie (si l’on fouille sur Pinterest, diverses photos où ils sont ensemble montrent parfaitement cela) et avec qui elle s’entend très bien, mais… qui doit ronger son frein : il n’est pas libre (il est avec l’actrice Jill Clayburgh depuis quatre ans), et il va même enchaîner sur une autre histoire en 1972 (avec l’actrice Tuesday Weld).

Un détail révélateur (et je suis surprise que personne, apparemment, ne l’ait relevé publiquement) se trouve dans ses essais (visibles sur YouTube) pour Le Parrain : avec Al, elle irradie, elle est primesautière et le dévore des yeux ; quand l’essai se fait avec James Caan (avec donc, en ligne de mire, la possibilité, pour ne pas dire le risque, qu’elle joue le film en ayant son personnage marié à celui de Caan), elle est raide, tout en disant exactement les mêmes mots, et son regard est terne.

Sur Internet, les sources diverses et variées disent tout et son contraire sur les années où ils ont été en couple (aucune fiabilité), seules leurs deux autobiographies permettent de situer approximativement leur histoire d’amour : de 1987 à 1990 (donc quatre années). Hum, Al a tout de même conçu un bébé vers janvier 1989 avec une autre femme, et Diane dit dans son autobiographie qu’ils se sont séparés « des dizaines de fois ». Donc ce Graal qu’elle avait enfin atteint n’a pas été un long fleuve tranquille pour elle, ça serre le cœur.

À la fin de leur histoire a lieu une étape particulièrement poignante : Diane Keaton a la très mauvaise idée (elle est la première à le dire) d’amener Al chez un psychologue (probablement un thérapeute de couple) pour convaincre Al de l’épouser ou au moins d’envisager de le faire, ce à quoi Al réagit en quittant la pièce et la vie de Diane, scène qui l’a clairement marquée, voire traumatisée, puisque, en voulant à tout prix obtenir le mariage, elle a perdu l’homme qu’elle aimait.

Je trouve infiniment touchant qu’une femme, qu’elle soit star ou pas, soit si obnubilée par le désir d’avoir un vrai mariage, bien officiel et bien légal, qu’elle s’aveugle sur un point gros comme une maison : ce n’est pas en cherchant à forcer la main d’Al que l’on arrivera à avoir la bague au doigt, bien au contraire.

L’histoire, déjà peu banale, a fortiori entre deux stars, pourrait en rester là. Non, cette histoire a continué à être hors du commun.

Primo, il n’y a pas longtemps, Diane Keaton a déclaré ne pas avoir eu d’histoire d’amour depuis trente-cinq ans (c’est-à-dire en gros depuis cette scène traumatique, comme si le temps de l’amour s’était arrêté pour toujours après Al), et elle dit et répète qu’elle n’aura plus d’homme dans sa vie et qu’elle s’en porte très bien : elle le dit tellement, et avec tant de jubilation et de franchise, que, pour moi, ça cache de l’orgueil meurtri et une blessure d’amour qu’elle essaie à tout prix de positiver, pour avoir le contrôle sur sa vie après cette erreur stratégique — qu’elle a toujours regrettée — de s’obstiner à contraindre Al au mariage.

Secundo, lorsqu’on lui a demandé à la télévision (en 2018, sur le plateau d’Ellen DeGeneres, c’est visible sur YouTube) qui était l’homme le plus sexy au monde, elle a répondu, vingt-huit ans après avoir été quittée par Al, que c’était… Al. Question : combien d’entre nous aurions donné cette réponse à propos d’un homme avec qui l’on a vécu (donc plus de part de mystère, de rêverie romantique et de fantasme, elle a partagé avec lui les WC et les chaussettes sales), qui nous a prouvé à maintes reprises que nous n’étions pas la femme de sa vie (donc vexation, voire humiliation), et ce, vingt-huit ans après une rupture douloureuse et mal vécue ?

Réponse : pas grand monde, ou personne.

Eh bien, c’est pourtant le cas de Diane Keaton, et c’est en cela que je trouve leur histoire tellement extraordinaire : elle a beau être une star mondiale et une icône de mode, avoir gagné un Oscar, être terriblement intelligente, jolie, pétillante, rayonnante et gracieuse, avoir vécu avec un réalisateur et acteur iconique (Woody Allen) et un sex-symbol (Warren Beatty), son grand amour est pourtant cet homme qu’elle aurait pu séduire pour la vie entière dès 1971 (ils vont tellement bien ensemble…), mais qui s’est constamment dérobé à elle (elle a écrit une phrase sublime à ce propos dans son autobiographie, le fait qu’elle a passé sa vie à perdre ce qu’elle n’avait jamais eu), et il émane d’elle involontairement le fait qu’elle l’aime toujours au plus haut degré.

En résumé, il semble que Diane Keaton soit amoureuse d’Al depuis maintenant cinquante-trois ans, qu’elle considère qu’il ne l’aimait pas vraiment (elle le dit étonnamment franchement, presque masochistement, dans son autobiographie et dans l’émission d’Ellen DeGeneres), tandis que lui a enchaîné les histoires d’amour, avec des femmes de plus en plus jeunes. Je trouve très touchant ce qu’elle a vécu.

Addendum – Je ne peux m’empêcher de penser que, après avoir lu les autobiographies d’Al et Diane Keaton, on peut deviner pourquoi il n’a pas voulu faire sa vie avec elle, alors qu’elle n’attendait que cela et qu’ils étaient très complices : parce qu’il avait besoin de quelqu’un de solide, pour compenser ses propres fragilités, et cette solidité est flagrante chez les femmes avec qui il a vécu, alors que Diane Keaton, dans son autobiographie, ressasse son sentiment d’insécurité et son manque de confiance en elle.

En outre, son autobiographie est construite de façon tellement décousue et anarchique que cela reflète quelque chose de très compliqué chez cette femme si attachante, cette actrice que j'aime tant dans les films de Woody. On peut même dire que le style de son récit est à l’opposé du style d’Al dans son autobiographie parue en octobre 2024 : fluide, très bien structuré et linéaire, pour le plus grand plaisir du lecteur, tout en étant parfois bouleversant avec des mots simples.

Le premier gros problème de l’autobiographie de Diane Keaton est qu’elle concerne en grande partie la vie de sa mère (soit que sa fille parle d'elle, soit qu'elle recopie des extraits de lettres et de journaux intimes de sa mère), une mère qui a « juste » été mère au foyer, qui est en photo sur la couverture de dos, et dont une phrase qu’elle a dite est la citation au début du récit (là où généralement il y a une phrase extraite d’un roman, d’un poème).

Combien de lecteurs ont dû avoir, comme moi, le sentiment de s'être fait piéger en ayant acheté une autobiographie qui est en fait consacré en grande partie à une mère au foyer, au sujet de laquelle, très clairement (pas besoin d'être psy), Diane Keaton a développé un immense sentiment de culpabilité : elle, la fille, a été célèbre mondialement, alors que la mère (qui faisait des collages, sa fille en fait grand cas, mais ça n'avait rien de fantastique…) devait avoir une sensibilité d'artiste et aurait probablement voulu être artiste, voire célèbre. De façon évidente, la fille est en souffrance d'avoir découvert trop tard que sa mère avait été malheureuse d'être juste femme au foyer et a voulu réparer ça avec son livre (lui donner une célébrité posthume, en quelque sorte)…

Tout du long du livre, une question m'obsédait : QUI, chez l'éditeur américain, a validé cette folie ??

Le fait que Diane Keaton apparaisse, dans son récit, comme très sensible et manquant de confiance en elle (ne se trouvant pas belle, anorexique-boulimique) aurait dû me toucher intensément (comme Anjelica Huston m’a touchée dans son autobiographie parue quelque temps plus tard), mais, ce qui prédominait en moi, c'était l'irritation d'être prise en otage par son besoin névrotique de réhabiliter publiquement sa mère, ou plutôt de lui octroyer une petite célébrité posthume au forceps. Si sa mère avait été une artiste, même mineure, à part entière, pourquoi pas. Mais là, juste une femme au foyer qui confie ses frustrations à son journal intime et fait des collages... Ce rejet que j'ai fait est d’autant plus net que je suis, au contraire, très sensible au devoir de mémoire, à la transmission, au désir de réhabilitation des défunts...

Le deuxième gros problème est que le style de Diane Keaton est très excentrique et très brouillon, avec un plan de récit éminemment haché, compliqué et changeant, faisant des allers-retours dans le temps, additionnant sans cesse des noms inconnus (de gens, de marques, c’est vite ennuyeux). Je ne sais pas si elle est et écrit naturellement comme ça (et ne peut écrire autrement) ou si elle s'est créé ce style pour le livre, pour faire original (peut-être pour être à la hauteur de la fantaisie de Woody Allen ?). En tout cas, à lire, c'est un déplaisir total, du moins pour moi. Ce style loufoque et confus m’a complètement irritée tout au long de la lecture.

Certes, les anecdotes sur Woody, Al, Warren Beatty et Le Parrain sont intéressantes. Heureusement. Mais les anecdotes sur les tournages de Woody sont trop peu nombreuses, et Diane Keaton insiste trop longuement sur ses débuts de comédienne débutante dans des pièces de seconde zone, c'est ennuyeux.

Ultime point faible, la fin du livre s'éternise beaucoup trop sur ses deux enfants adoptés, et là encore, rien de plus ennuyeux que de savoir quelle est sa vie quotidienne avec eux et son admiration pour eux.