2021 American Traitor (American Traitor : The Trial of Axis Sally)
Ce film a un statut plus que bâtard : tourné en février 2019, il est censé être sorti (aux États-Unis) en mai 2021, alors que, en janvier 2023, lorsque j’ai découvert Al et écrit sur papier (à l’ancienne !) la liste de sa filmographie sur Wikipédia pour commencer ce Marathon, il n’y figurait pas. Je n’ai découvert la présence (et l’existence) de ce film dans la filmographie d’Al qu’en novembre 2023, donc ce film de 2021 a été ajouté sur Wikipédia entre janvier et novembre 2023, ce qui est insolite.
Il n’y a manifestement pas eu de date de sortie en France. Pas de critiques de la presse française. Pas de VOD comme séance de rattrapage. Pas de DVD dans les médiathèques de Paris. Et, étonnamment, l’actrice principale laisse sur sa fiche Wikipédia (en anglais) l’avis négatif d’Al à son sujet, ce qui est une situation exceptionnelle, Al étant publiquement toujours très galant. En résumé, avant de voir ce film, on peut considérer que c’est un accident industriel.
N’écoutant que mon devoir, j’ai acheté le DVD, où le film est daté de 2020 et non pas de 2021, aussi bien sur la jaquette qu’à la toute fin du générique de fin. Décidément, c’est un embrouillamini total, et j’ai commencé le film en redoutant de devoir subir un navet complet.
Le DVD est en anglais non sous-titré, ce qui m’empêche de comprendre l’intégralité des dialogues et donc de bien pouvoir les juger. De plus, le chapitrage est dysfonctionnel : le minutage en bas de l’écran repart à zéro à chaque chapitre (par conséquent, pour savoir quand le film sera terminé, il faut regarder à quelle heure on a commencé le film et quelle est sa durée !). Plus embêtant, on ne peut pas aller en arrière ou en avant au sein d’un chapitre : si l’on veut revoir un moment du chapitre, il faut revenir au début du chapitre et attendre la scène… Pire encore, on ne peut pas savoir où l’on est dans le chapitre, car le curseur du minutage se met tout de suite tout à droite et stagne là pendant la durée du chapitre…
Je suis vite tombée des nues : loin d’être un accident industriel, le film est, en effet, tout à fait correct, dans la bonne moyenne des films d’époque ! Ni ridicule, ni grotesque, ni insupportable, rien de déshonorant du tout.
L’introduction est certes sans génie, un peu plate et raide, du genre téléfilm, mais très nombreux sont les films qui commencent de façon maladroite ou assez ratée et sont très bien après. On ne s’ennuie pas, c’est bien rythmé, l’image est très soignée (un rapide coup d’œil à la carrière du directeur de la photographie, Jayson Crothers, montre qu’il travaille bien, mais qu’il ne dépasse pas le stade des séries B), et la reconstitution des années 40 est elle aussi très soignée, et c’est d’autant plus touchant que l’on perçoit le manque de moyens. Clairement, le directeur artistique, Fernando Carrion, dont la carrière semble n’être faite que de séries B lui aussi, et les décorateurs ont fait de leur mieux pour pallier ce manque de moyens, et c’est tout à leur honneur.
Par ailleurs, je tiens même, pour la seule et unique fois dans ce Marathon Pacino, à citer le nom de la costumière, de la chef maquilleuse et de la chef coiffeuse, car leur travail sur la comédienne principale est un bijou : Julia Michelle Santiago pour les costumes, Jacqueline Jiménez pour le maquillage, et Marielena Ramirez pour la coiffure.
Un élément qui m’a sauté aux yeux, c’est l’excellent casting pour les petits rôles :
– Swen Temmel, sorte de gros bébé aux faux airs d’Alec Baldwin et de Zac Efron, incarne parfaitement un jeune avocat débutant plein de naïveté et de timidité, je ne comprends pas pourquoi il doit se contenter d’une carrière de troisième zone ;
– les soldats lors du procès sont pleins de fraîcheur, de candeur et passent très bien à l’écran ;
– Jasper Polish, dans le bref rôle de la secrétaire de l’avocat, est un vrai bonbon : ultra-gracieuse à l’écran, adorable (avec de faux airs de Jennifer Lawrence et de Sophie Marceau), et jouant gracieusement et avec exactitude le peu qu’elle doit jouer face à la superstar Al ; pourquoi n’est-elle pas plus connue ?? Je découvre assez rapidement qu’elle est la fille du réalisateur, Michael Polish. Quand bien même, je trouve toujours incompréhensible que des gens qui crèvent l’écran grâce à leur cinégénie ne tournent pas plus. Lorsque Lana Turner et Gene Tierney ont été abordées pour qu’elles fassent des essais pour le cinéma, ça a été uniquement parce que leur cinégénie était plus que probable, il n’était pas noté sur leur visage qu’elles allaient pouvoir jouer Lady Macbeth ;
– même les membres du jury, pourtant silencieux, ont été parfaitement choisis, ils font complètement années 40 !
Une autre actrice très jolie tenant un autre petit rôle (celui d’une avocate lors du procès), Lala Kent, ressemble beaucoup à Jasper Polish (on peut les confondre), mais elle surjoue un peu les grands airs réprobateurs.
Dans un autre genre, on peut citer l’acteur allemand Thomas Kretschmann, qui joue le rôle de Goebbels en le rendant particulièrement glaçant. À part Al, c’est le seul acteur de ce casting ayant joué quelques bons films, en particulier je lis qu’il a eu le rôle de l’officier allemand à la fin du Pianiste de Polanski.
Par contre, le couple que l’héroïne forme avec un Allemand qui est censé illuminer sa vie ne marche pas bien : l’acteur n’a pas de charisme, ils sont mal assortis, et leur relation n’est pas assez approfondie pour que l’on s’y intéresse.
Autre bémol, il y a une inévitable scène de sexe (d’où, je suppose, l’interdiction aux moins de 15 ans figurant sur le DVD, interdiction fort surprenante, puisque d’innombrables scènes identiques sont présentes dans des films tout public, à moins que cette interdiction ne concerne aussi une autre scène, à mi-chemin entre scène de sexe et scène de violence, mais qui est très essentiellement sonore), alors que cette scène de scène aurait complètement pu être juste suggérée. C’est très dommage de l’avoir filmée, car ça aurait été, sinon, un bon film sur cette période historique pour les ados.
Un autre point fort du film est les images d’archives de la Second Guerre mondiale : elles apparaissent à quelques moments et sont très bien choisies, poignantes et élégamment présentées dans un format carré.
Pourquoi, alors, ce film a-t-il connu un parcours aussi catastrophique, pourquoi a-t-il fini illico dans une telle impasse, alors qu’une superstar comme Al y jouait ???
J’estime qu’il n’y a que deux seuls vrais points faibles :
– une narration un peu confuse, puisque ce film cède à la mode des allers-retours entre passé et présent, ce qui peut parfois faire que l’on ne sait pas trop où l’on en est, et ça ne permet pas au suspense et à l’émotion d’aller crescendo et chronologiquement ;
– et une construction trop sage et répétitive : le récit se contente d’alterner essentiellement des scènes où l’héroïne (qui a réellement existé) fait son travail de chanteuse pour la propagande nazie (avec des morceaux jazzy peut-être un peu fades mais agréables) et des scènes lors de son procès, avec juste un saupoudrage de quelques scènes différentes, en particulier celles où son avocat, joué par Al, ou l’assistant de l’avocat lui rendent visite dans sa cellule.
Un éventuel autre problème (pas à mes yeux, en tout cas) est l’actrice, Meadow Williams, totalement inconnue sous nos latitudes. Je peux percevoir que certains penseront qu’elle joue mal, et ce qui plaide contre elle est son physique de bimbo sur Internet, l’extrême faiblesse de sa carrière, et le fait qu’elle a été au cœur d’une procédure judicaire peu flatteuse, ayant hérité de presque 800 millions de dollars au bout de cinq ans de mariage, au détriment des enfants du défunt.
À cela, j’oppose quelques arguments :
– Primo, essayons de juger ce qu’apporte une actrice à son rôle en faisant abstraction de son image dans la vie et de sa carrière, ça me paraît la moindre des choses si l’on veut être honnête. Que la légère vulgarité qu’elle exprime dans son personnage soit liée à son jeu ou bien à ce qu’elle est dans la vie ne nous regarde pas.
– Secundo, il est possible qu’elle ait fait un choix d’interprétation. Il faudrait que je voie d’autres films avec elle pour faire la comparaison, pour voir comment elle joue ailleurs, mais il est très possible qu’elle ait choisi d’incarner ainsi cette « traîtresse américaine », si l’on reprend le titre du film : un mélange de candeur, de douceur, d’opacité, de bêtise, ou du moins de manque d’intelligence probablement. Si elle incarne une femme qui fut peut-être intellectuellement limitée, son jeu est forcément au diapason, et on ne peut pas le lui reprocher. En tout cas, moi qui ai vu le film, je trouve que son jeu colle bien avec son personnage, qui n’était pas une femme que l’on peut admirer. Je dirais même que son jeu, que certains qualifieront peut-être de mauvais, la rend atypique et donc intéressante. Et même, à certains moments, son jeu est d’une grande délicatesse, d’une grande précision, ce qui nous fait percevoir son personnage comme étant une femme sincère. Du reste, on peut dire qu’elle joue bien dans la mesure où elle ne nous laisse jamais deviner si son personnage a effectivement eu des sympathies pronazies ou si elle n’a pas eu le choix de faire de la propagande pour les Allemands, par peur des représailles ou par faiblesse. Je dois même dire que, dans ses scènes face à Al, elle ne démérite pas du tout.
– Troisième argument en sa faveur, l’actrice est extrêmement ressemblante au personnage qui a réellement existé, la vraie Mildred Gillars, la ressemblance va jusqu’au point que le bas du visage de l’actrice est aussi un peu joufflu et relâché. Elle convient donc très bien au rôle (et, comme elle a cofinancé le film, on peut même supposer que, si elle s’est octroyé le rôle d’une personne à qui elle ressemble physiquement, c’est que le rôle lui tenait à cœur).
– Quatrièmement, si la cinégénie compte un tant soit peu au cinéma, cette actrice est parfaite dans ce rôle : sans être la plus belle femme au monde (elle fait penser à un mix d’Isabelle Mergault et de Muriel Moreno, du groupe Niagara, avec aussi de faux-airs d’Emmanuelle Seigner et de Noomi Rapace, du moins dans ce film, pas sur Internet, et avec comme handicap durant tout le film de porter un fard noir sur toute la paupière mobile, ce qui lui fait de petits yeux), la blancheur de son teint est d’une luminosité et d’une perfection extraordinaires, c’est ce que l’on appelle une peau d’albâtre, ce qui est rare. De plus, sa voix est du pur sucre, aussi bien quand elle parle que quand elle chante, et le style vestimentaire des années 40 lui va à ravir, c’est une merveille de féminité à voir durant tout le film. Je suis d’ailleurs très surprise de découvrir qu’elle avait cinquante-trois ans lors du tournage, elle en faisait vingt de moins.
Un autre travers qui pourra lui être reproché par certains est son manque de classe : dans ce film, elle fait beaucoup penser à Veronica Lake, dont le pic de la carrière a correspondu justement aux années de la Seconde Guerre, mais sans sa distinction, et elle me fait au contraire pas mal penser également à Ginette Leclerc, qui jouait toujours des rôles de fille de mauvaise vie dans le cinéma français des années 30 et 40. (Je découvre à l’instant sur Internet que, en choisissant pour sa carrière le prénom Ginette, prénom connoté classe ouvrière à l’époque, comme si elle savait qu’elle serait cantonnée à un certain type de rôle, Ginette Leclerc a délaissé un vrai prénom beaucoup plus chic, Geneviève.)
Et Al ? Eh bien, je trouve regrettable que le public ne connaisse pas sa prestation, car il y est à 200 % à l’aise, dans un type de rôle qu’il connaît bien et endosse régulièrement depuis de nombreuses années : roublard, confiant en lui, tonique, gai. Il y a même l’un de ses fameux Pacino blast. Les lunettes rondes et noires qu’il porte au début du film sont aussi une excellente idée, ça lui donne une super allure et ça caractérise son personnage de façon originale. Et, surtout, il n’endosse pas, cette fois-ci, ce côté fatigué, vieillissant, voûté qu’il a dans trop de ses films depuis pas mal d’années, alors que ses interviews sur Internet montrent qu’il est au contraire plein de vitalité.
Aussi et surtout, sa plaidoirie de dix minutes et demie à la fin du film (lequel est, en fait, en bonne partie, un film de procès, un genre en soi, surtout dans le cinéma américain) est l’un des plus beaux monologues de sa carrière. D’ailleurs, je dois dire que le voir accomplir cette plaidoirie fait immanquablement penser à celle à la fin de Justice pour tous (visible sur YouTube), plus de quarante ans plus tôt, c’est donc très touchant. Et je pense que lorsque le juge s’exclame « Order in the court » pour faire revenir le silence, on peut y voir un clin d’œil au célèbre « You’re out of order » de la plaidoirie finale de Justice pour tous.
Il y a même un geste identique qu’Al fait dans les deux plaidoiries : il pose sa main bien à plat sur la balustrade devant les jurés, un geste surprenant car apparemment inutile. Mais j’ai appris, au fil de ce Marathon Pacino, qu’Al est un maître du petit geste « inutile » — parfois à peine perceptible — qui enrichit son jeu et la perception que l’on a de son personnage, petits gestes « inutiles » qui font en partie qu’Al est devenu mon acteur préféré.