2020 Hunters dix épisodes en 2020 (saison 1), puis huit épisodes en 2023 (saison 2)

(Avant-propos : Prime Vidéo a mis en ligne onze épisodes au lieu de dix pour la première saison, divisant le premier épisode en deux parties, Dans le ventre de la baleine partie 1 et Dans le ventre de la baleine partie 2. Cela décale les numéros des épisodes : cela va de 1 à 11 sur Prime Video, mais je numérote les épisodes de 1 à 10 comme indiqué sur la fiche Wikipédia de la série.)

J’ai commencé cette série (qui a la particularité d’avoir le même titre français que Cruising, film avec Al sorti exactement quarante ans plus tôt : La Chasse) avec un double sentiment : d’abord, le plaisir de savoir que j’allais retrouver Al dans dix-huit épisodes de cinquante minutes environ, quel régal ! Ensuite, la curiosité de voir comment Al, à 79 ans puis 82 ans, allait incarner pour la première fois un personnage récurrent.

Je me suis donc attelée avec enthousiasme à ce binge-watching, et je suis rapidement tombée des nues, littéralement. Pourquoi ?

Je n’avais jamais entendu parler de cette série, j’avais juste vu, après avoir commencé ce Marathon Pacino, qu’Al en avait fait la promotion, avec le jeune acteur qui y joue à ses côtés, Logan Lerman. Je pensais donc que ce devait être une série très moyenne, à l’image de certains films avec Al depuis vingt ans.

Quel choc, par conséquent, de voir une toute première séquence aussi forte esthétiquement et thématiquement, bien qu’elle ne puisse pas plaire à tout le monde, sûrement. Selon moi, il est rarissime qu’une première scène soit aussi marquante, choquante, spectaculaire, poignante hors du commun, pareille à nulle autre, et inoubliable. En particulier, le tour de force de l’actrice polonaise, Izabella Miko (je n’en dis pas plus, je recommande de regarder sans rien savoir…), m’a bouleversée. Merci à elle.

Et le jeu du personnage masculin de cette introduction, Dylan Baker, est très fort aussi, dans un autre genre. J’admire le scénariste et le réalisateur pour cette première séquence, qui m’a fait penser au style de Ruben Ostlund pour The Square et Sans filtre, mais avec un thème bien plus profond, celui de la Shoah.

Puis, de nouveau, quel choc de découvrir que tout le reste de la série est si brillant ! Certes, je ne connais aucune autre série contemporaine (excepté Taboo, regardée pour Tom Hardy, immense acteur qui n’a pas la carrière qu’il devrait avoir), donc je ne peux pas faire de comparaison, mais tout de même : ce suspense, cette photographie magnifique, avec des teintes chaudes et profondes, cette décoration et ce stylisme des années 70 hyper soignés et mis en valeur par la réalisation… Il y a tout de suite un air de famille avec des films de James Gray, Paul Thomas Anderson, Spielberg, Scorsese, donc le meilleur du cinéma contemporain. On sent que tous les détails ont été travaillés, fignolés. Par conséquent, pourquoi cette série n’est-elle pas plus connue ?? Et quel dommage qu’elle ne soit visible qu’en s’abonnant à Prime Video, ce qui fait que d’innombrables personnes, dont des fans d’Al, ne la connaîtront jamais, alors que le rôle de Meyer Offerman, dans cette série, est l’un de ses meilleurs rôles dans sa troisième partie de carrière.

Pendant un épisode et demi, j’ai été en lévitation, scotchée, bluffée, puis le rythme baisse (trop de complications et de situations absurdes), et, dans l’épisode 3, une fausse bande-annonce à la Tarantino est une très grande déception : toute l’émotion liée au thème de la série (c’est-à-dire la Shoah, avec de terribles scènes se passant pendant la Deuxième Guerre mondiale, et la traque des nazis encore vivants dans les années 70 et cachés sous une autre identité) fond comme neige au soleil, c’est soudain moins authentique, à cause de ce gimmick pour faire pop, pour que la série soit dans l’air du temps. Et cette superficialité à la Tarantino, qui se veut drôle et distrayante, continue encore pendant un certain temps (des plans, des idées de mise en scène et un certain type d’humour font aussi beaucoup penser aux frères Coen). Ce grand écart entre l’humour (vache, vulgaire et qui se veut tendance) parmi les membres de la bande et le thème du génocide juif m’a paru gênant et pas très élégant moralement (je verrai bien plus tard sur Internet que certains journalistes ont pensé la même chose.) Heureusement, au fil des dix épisodes, cela évolue favorablement : le curseur revient sur un peu moins d’humour et plus de gravité.

Cette série entre complètement dans la catégorie du « film choral », mais c’est pourtant la réalisation très inventive, qui fourmille d’idées de mise en scène, et la photographie qui frappent le plus. Cela met d’ailleurs en relief la supériorité du cinéma américain sur le cinéma français. Mais, à ma très grande surprise, en voulant découvrir quel réalisateur et quel chef opérateur de talent se cachent derrière cette brillante série, je découvre qu’ils ont été nombreux à se partager le travail, alors que le style, aussi bien de la réalisation que de l’image, est très unifié tout au long des dix épisodes. (Une autre surprise est que ce pool de réalisateurs correspond presque exactement au pool des coproducteurs, alors qu’il n’est pas si fréquent que des réalisateurs soient aussi producteurs.)

Je tiens à citer ces réalisateurs :

– Alfonso Gomez-Rejon, épisode 1 (donc il est l’auteur de cette toute première séquence si forte, si glaçante, si vraie, incomparable).

– Wayne Yip, épisodes 2 et 3.

– Nelson McCormick, épisodes 4, 7 et 9.

– Dennie Gordon (c’est une femme), épisode 5.

– Millicent Shelton (c’est aussi une femme), épisode 6.

– Michael Uppendahl, épisodes 8 et 10.

Premier constat en me renseignant à leur sujet sur Internet : ils ont réalisé essentiellement pour la télévision (ou des plateformes), « zappant » de série en série. Je ne savais pas du tout que cela se passait comme ça dans le milieu des séries, je pensais candidement que le réalisateur restait le même pour toute une saison, voire plus. Je suis impressionnée de voir que l’on peut être si doué sans pour autant avoir accès à la réalisation de films de cinéma, ou du moins pas de films majeurs. Impressionnée aussi de voir que la plupart ne tiennent pas à jour leur fiche Wikipédia, et que Hunters apparaît à peine dans leur filmographie (alors que certains d’entre eux ont aussi coproduit la série…).

Je tiens également à citer les directeurs de la photographie :

– Frederick Elmes, épisodes 1 et 2 (il a la particularité de n’avoir que six ans de moins qu’Al, donc c’est un vétéran, et d’avoir, contrairement aux réalisateurs de la série, une carrière prestigieuse derrière lui, ayant tourné avec Lynch, Jarmusch et Ang Lee).

– William Rexer, épisodes 3, 4, 7, 9 et 11.

– Tim Norman, épisodes 5, 6, 8 et 10.

Venons-en aux acteurs, et tout d’abord à la bande des huit Chasseurs (les Hunters du titre), trois hommes et trois femmes autour des deux acteurs principaux, Al et le jeune Logan Lerman. L’ensemble est disparate, deux d’entre eux étant assez fades et avec une présence dans la bande guère compréhensible (quelle est leur spécificité, quel est leur talent ?).

En revanche, Al est époustouflant : à 79 ans, il arrive encore à se renouveler. Certes, dans ses gestes, ses mimiques, certaines intonations atypiques, il y a des détails que l’on connaît déjà (et je trouve dommage qu’il ait opté pour ce gimmick de régulièrement fermer fortement les yeux dans ce rôle, ça ne fait pas naturel), mais le fait qu’il ait un accent juif très prononcé dans ce film le métamorphose et montre à quel point il aime encore travailler ses rôles, et il est comme toujours très inventif (dans le dernier épisode, j’adore quand il sort précipitamment de sa voiture en disant « This is it. That’s it », ça n’appartient qu’à lui, cette inventivité sur quelques syllabes pourtant si communes).

À la fois grand-père idéal, calme, doux et protecteur, et meneur de bande toujours maître de lui-même et ultra-classe, il est comme rajeuni, en particulier dans le regard. Il y a même un Pacino blast dans le 6e épisode, comme au bon vieux temps. (Je dois dire que ce Pacino blast a pour effet collatéral de faire entendre la voix d’Al telle qu’elle était dans la première partie de sa carrière — avant qu’il n’ait la voix rocailleuse —, un peu comme les Écossais n’ont pas leur accent quand ils chantent !).

Petit élément bancal : son personnage est censé être de trente ans plus jeune lors des scènes en camp de concentration, donc Al faisant bien ses 79 ans dans les séquences des années 70, son personnage aurait dû avoir environ 49 ans dans les scènes ayant lieu dans les années 40, mais Zack Schor, l’acteur qui joue son rôle pendant la guerre, avait 24 ans lors du tournage de ces scènes... Pour dire les choses autrement, si ce personnage a la physionomie de quelqu’un de 24 ans dans les années 40, il aurait dû avoir une physionomie de 54 ans dans les scènes qui ont lieu trente ans plus tard, et on en est loin. Bref, ça ne passe pas bien, il aurait fallu que son personnage ait la quarantaine durant la guerre.

L’autre personnage principal, jeune homme naïf, tendu et concentré sur sa souffrance d’orphelin, est très bien joué par Logan Lerman : il paraît fade et anodin lors de la promotion de la série sur Internet, mais, avec les cheveux plus longs et foncés, et dans la peau du rôle, il a bien plus de présence, et surtout il a le mérite de jouer, sans baisse de niveau et sans nous lasser (sur neuf heures, la durée de la première saison), quelques sentiments qui reviennent en boucle (l’étonnement, la candeur, l’incompréhension, la révolte, la rage), ce qui ne doit pas être facile, car il est à l’écran les neuf dixièmes du temps. Néanmoins, il a parfois recours à un poncif qui a traversé les décennies chez les acteurs (je parle des clignements d’yeux à répétition, c’est tellement artificiel…), et les scénaristes lui ont ridiculement fait dire des dizaines et dizaines de fuck et fucking dans ses phrases, ça finit par être très irritant. (Je constate par la suite, en regardant sa fiche Wikipédia, qu’il ne tourne que dans un film par an, et plutôt de piètres films, même après avoir tenu un rôle aussi important dans Hunters, donc sa carrière a du mal à prendre.)

L’un des huit rôles de la bande n’a pas été, selon moi, très bien écrit, celui de la jeune femme très dure (la plupart du temps costumée en religieuse, et en tout cas les cheveux toujours couverts, laissant juste voir sa frange blonde très épaisse) et ayant un a priori instantané et quasi haineux pour le jeune héros (un a priori qui ne nous sera jamais expliqué) : cette dureté répétitive est caricaturale et très vite déplaisante, il aurait fallu bien plus de nuances, nuances qui apparaissent enfin un petit peu en fin de série, lorsqu’elle se montre un peu moins tendue, et encore plus dans la saison 2. C’est dommage, car l’actrice, Kate Mulvany, rend cette jeune femme de plus en plus intéressante au fil des épisodes, car très concentrée, active, butée et en souffrance.

Le personnage le plus réussi de la bande est celui joué par Josh Radnor : je ne connaissais absolument pas cet acteur, mais, en caricature de latin lover à l’embonpoint naissant, acteur qui n’a plus de travail et qui essaie (vaniteusement ou désespérément, on ne sait pas trop) de mettre en avant sa petite gloire passée, il est vraiment amusant, pittoresque et intéressant à chaque apparition, et de plus en plus au fil des épisodes. Il fait penser à Marcello Mastroianni et Vittorio Gassman dans leurs rôles de séducteurs ringards (et Marcello pouvait aller loin dans le ridicule sur le plan physique pour ce type de rôle), je ne sais pas si ça a été une source d’inspiration pour cet acteur. Il fait penser aussi à Bouli — joué par Victor Lanoux — dans Un éléphant, ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis, mais ça, Josh Radnor ne doit pas connaître ! En tout cas, j’aimerais beaucoup voir un film tout entier avec cet acteur dans un personnage similaire, il y a là un gros potentiel comique.

Également, j’ai aimé le personnage incarné par Saul Rubinek (dont, peu avant sa naissance, les parents ont été cachés durant deux ans pendant la guerre par des fermiers polonais, des Justes donc), un acteur qui m’est lui aussi totalement inconnu, mais qui a joué dans quelques films très connus. Il joue avec beaucoup de naturel un mari rescapé d’Auschwitz-Birkenau et qui est toujours d’humeur égale, ce que l’on appelle un brave homme (c’est donc assez rafraîchissant de le voir, car les autres membres de la bande sont soit outrancièrement typés, soit assez fades), et, dans les scènes qui concernent un traumatisme qu’il a vécu en arrivant à Auschwitz-Birkenau, il est d’une justesse bouleversante.

Par ailleurs, intense émotion en découvrant que l’actrice qui joue son épouse, une femme d’âge mûr (inséparable de son mari et avec un très fort accent yiddish), Carol Kane, jouait l’un des otages dans l’extraordinaire Un après-midi de chien (la jeune femme habillée comme une petite fille, cachée sous un bureau au tout début, et le personnage d’Al demandait, en la découvrant, si c’était un écureuil). La voir à l’écran avec Al quarante-cinq ans plus tard, avec le vieillissement de leurs visages et leurs corps, c’est tout simplement bouleversant.

Parallèlement à la bande des huit Hunters, plusieurs rôles secondaires sont très présents au fil des dix épisodes. L’enquêtrice du FBI noire et homosexuelle, toujours en tailleur-pantalon un peu sage, probablement pour s’affirmer dans sa fonction, est très bien jouée par Jerrika Hinton ; elle apporte à son personnage solidité, authenticité, sagesse, courage.

Jeannie Berlin joue avec originalité et une très grande finesse la grand-mère très aimante du jeune héros, rescapée des camps, femme au fort caractère tout en étant dans la douceur (avec une élocution lente et un peu saccadée). On la voit peu à l’échelle des deux saisons, mais, à chaque apparition, son interprétation crée un beau fil rouge.

Le rôle de Greg Austin ne me convainc pas totalement : joli garçon glacial et totalement de type aryen, avec de faux airs de Brian Jones, c’est un tueur à gages des nazis dans les années 70, pervers et inquiétant (de plus en plus au fil des épisodes), mais peut-être un petit peu trop fade et lisse, à la Brad Pitt (acteur que je trouve profondément ennuyeux et surestimé), et peut-être pas tout à fait crédible dans son rôle de psychopathe qui aime parler placidement et d’une voix douce pour mettre mal à l’aise les gens qu’il compte effrayer ou tuer.

Dylan Baker est très bien pour le rôle de l’ex-nazi devenu homme politique aux États-Unis : lors des premiers épisodes, les réalisateurs le font peut-être un peu trop jouer façon bande dessinée le pourri pathétique, minaudant, hypocrite et sans scrupules, ça peut agacer. Mais lorsqu’il se retrouve en grande difficulté, le fait d’être aux abois le transforme davantage en vrai méchant, pas juste en cabotin cachant son passé pour préserver sa carrière et son impunité, et il devient bien plus intéressant.

Et, avec son allure de gros bébé un peu timide, Caleb Emery est très touchant en copain en surpoids du héros.

Par curiosité, j’ai regardé la fiche Wikipédia d’un grand nombre d’acteurs qui font juste une apparition (cela me permet de découvrir que l’acteur allemand Christian Oliver, qui joue un nazi pendant la guerre, est mort dans un accident d’avion il y a exactement six mois, avec ses filles de dix et douze ans…) : il est fascinant/déroutant/décourageant de voir à quel point des acteurs qui assurent complètement pour un tout petit rôle ont une carrière maigre et de seconde zone, essentiellement à la télé, et certains n’ont même pas de fiche Wikipédia (et ce sera la même chose pour la deuxième saison, certains accomplissant même l’exploit d’avoir une fiche Wikipédia qui n’est plus à jour depuis des années et est uniquement en français, alors qu’elles sont habituellement traduites de la fiche Wikipédia en anglais). C’est vraiment un métier où la réussite est très, très aléatoire et dépend de la chance…

Un exemple : le comédien qui joue Al jeune (sans être du tout un sosie d’Al, néanmoins), Zack Schor, se débrouille très bien. D’ailleurs, il fait beaucoup penser à Ralph Fiennes au même âge, ce qui démontre qu’il a un certain charisme. Eh bien sa carrière est quasi inexistante. (Je verrai dans un deuxième temps qu’il est le petit-fils de rescapés de la Shoah, sa participation au film est donc très poignante.)

Par ailleurs, sans être franchement reconnaissables et connus du grand public, certains acteurs de cette série ont joué avec de grands cinéastes : Dylan Baker, Barbara Sukowa, Judd Hirsch (qui a en commun avec Al d’avoir eu un premier rôle masculin dans un film de Sidney Lumet — À bout de course, que je n’ai pas du tout aimé), James LeGros, et Lena Olin, troublante de ressemblance avec Victoria Beckham (en ayant dix-neuf ans de plus) et parfaite de méchanceté et de froideur souriante en chef nazie dans les années 70.

La bande originale est un atout de plus : ont été idéalement choisis et placés Blue Bayou, de Roy Orbison, Paint it black, des Stones, Sweet Nuthin’, du Velvet Underground, et The End, des Doors.

Encore mieux : j’ai dit dans mon introduction à ce Marathon Pacino que j’aurais aimé qu’Al soit davantage associé, à l’écran, à de sublimes musiques (bien que, avec les mélodies du Parrain, il ait été servi). Aussi, entendre mon idole Django Reinhardt (dans l’épisode 9, à la 10e minute,) alors qu’Al est à l’écran, c’est atteindre le Graal. Hélas, la musique (une reprise de La Mer, la célèbre chanson de Charles Trénet) est seulement en arrière-fond dans la pièce, on ne l’entend pas bien, et encore moins lorsque les personnages parlent. De plus, il y a d’abord trente secondes où c’est Grappelli qui est en solo (au violon), et ce n’est pas intéressant, puis Django en solo pendant seulement 46 secondes. C’est une belle occasion ratée, il aurait fallu le solo de Django dans son intégralité (il dure exactement une minute), et surtout que la musique soit au premier plan, comme pour les morceaux que je viens de nommer plus haut.

Surprise pour moi, il y a de nombreuses scènes atroces dans les camps de concentration (ou des scènes de rafle), j’en étais restée aux polémiques sur le sujet lors de la sortie de La Liste de Schindler (1993) et de La Vie est belle, de Benigni (1997) : était-il possible, tolérable, décent de reconstituer pour une fiction ce qui a eu lieu dans les camps ? Il me semblait qu’un consensus faisait que les cinéastes ne s’aventuraient pas dans cette entreprise, sauf cas rares, en particulier Le Fils de Saul, en 2015.

Pour me faire une idée sans tarder, je regarde ce film sur-le-champ : choc total, bouleversement total (je savais pourtant pertinemment de quoi il s’agissait). Qu’un cinéaste puisse avoir l’idée de filmer l’intérieur d’un camp de concentration de façon aussi radicale et unique au monde, qu’il ait eu le courage de s’obstiner quand il a essuyé un refus pour l’aide à l’écriture de la part d’Arte et du CNC, qu’il arrive à mêler constamment à l’image la plus grande inhumanité (l’arrivée des déportés dans une chambre à gaz, leur déshabillage et leur nudité, alors qu’ils ne savent pas qu’ils seront morts quelque minutes plus tard — on pense d’ailleurs souvent à Salo, de Pasolini —, la violence permanente des nazis) et la plus grande humanité (la volonté d’un déporté d’enterrer son fils en cachette pour qu’il ne soit pas brûlé), que la mise en scène, le jeu des acteurs, la photographie, le montage atteignent une même excellence, qu’un tel film ait obtenu l’Oscar du meilleur film étranger et le Grand prix du jury à Cannes, voilà qui me réconcilie avec le cinéma contemporain.

Mais que la carrière du réalisateur, Laszlo Nemes, n’ait pas explosé dans la foulée (un seul film depuis neuf ans, avec seulement 41 000 entrées en France, et, d’après les critiques et les spectateurs, une narration bien trop compliquée et tortueuse…), ça me stupéfie et me désole.

 

Je reviens à Hunters. Le seul vrai point faible de cette série est les vulgarités, obscénités et jurons trop récurrents. Je suis d’ailleurs consternée que, dans le cinéma américain, les personnages disent autant fuck et fucking, comme s’ils ne pouvaient plus s’exprimer sans ce tic de langage. On a l’équivalent dans certains films français, hélas. Autrefois, on pouvait regarder des séries en famille sans entendre cela (je pense avec nostalgie à Amicalement vôtre, par exemple, un chef-d’œuvre dans la catégorie des séries télé familiales et distrayantes), c’est triste que le vocabulaire que l’on nous impose à l’écran désormais soit souvent si laid et avilissant.

Pire encore : un épisode commence avec une (très courte) scène pornographique gay (trente-huit ans d’écart entre les deux acteurs, ça m’a rappelé la première séquence de My own private Idaho, de Gus Van Sant, même cas de figure, mais où la scène était bien plus longue et encore plus crue, âmes sensibles s’abstenir). Je suis consternée : cette scène (pourtant très utile, je le reconnais tout à fait, il s’agit de photographier un sénateur en flagrant délit pour le faire chanter) aurait complètement pu être suggérée, mais non, elle a été filmée en plein cadre… Quelle tristesse… Cette série est un merveilleux vecteur de découverte de la Shoah pour le public adolescent, alors pourquoi la scénariste de cet épisode, Nikki Toscano, l’une des coproductrices, impose-t-elle cette scène X de quelques secondes à l’intégralité du public de par le monde, dont des gens qui, comme moi, ne veulent pas voir ces quelques secondes, et dont des adolescents vierges pour qui cette vision, même brève, est violente, d’autant plus qu’elle montre un homme jeune et un homme en âge d’être son grand-père ? Pourquoi le réalisateur et les producteurs valident-ils cette scène qui tirent vers le bas une série bien plus intelligente que cela ?

Mise en abyme : dans l’épisode 5, il y a un énorme clin d’œil à une scène culte d’Un après-midi de chien : le personnage joué par Josh Radnor crie deux fois « Drop your guns » puis trois fois « Attica ».

Un autre clin d’œil tout aussi énorme : dans l’épisode 8, Al dit le nom « Grand Central Station », puis, peu après, une (courte) scène de filature qui a lieu dans ladite gare Grand Central et dans le métro est un décalque de la scène finale de L’Impasse.

Les trois scénaristes qui ont écrit ces deux épisodes ont clairement voulu faire deux clins d’œil à Al et sa carrière, mais ce sont certainement aussi et surtout deux hommages, et je pense qu’il doit être assez vertigineux pour Al de voir à quel point des scènes qu’il a jouées dans plusieurs films sont entrées dans l’histoire du cinéma au point d’être répétées/pastichées dans d’autres films. Je dirais même que c’est probablement l’acteur, toutes époques confondues, qui a le plus de scènes devenues cultes à son actif, si l’on additionne Le Parrain, Scarface, Un après-midi de chien, Le temps d'un week-end, L’Impasse et Heat.

 

Je parle de la saison 2 à part, la saison 1 étant déjà très riche en informations.

Surprise, cette seconde saison (d’une durée de sept heures) commence d’emblée par un total déséquilibre (sur le plan qualitatif) pour le premier épisode. La première séquence est, comme celle de la première saison, un modèle d’introduction malaisante et magnifiquement photographiée : une toute petite ville allemande bucolique, Green Grass of Home en bande-son (la version de Tom Jones, très bon choix, puisque la version d’Elvis est molle et a mal vieilli), et Jennifer Jason Leigh impressionnante en petit bout de femme habillée très chic, dure, inquiétante et énigmatique. Je n’aime jamais voir jouer cette actrice, qui a toujours l’air raide, dure et mal à l’aise à l’écran — rien à voir avec des femmes comme Sophia Loren et Ingrid Bergman, qui étaient comme des poissons dans l’eau lorsqu’elles étaient filmées, et un bonheur à regarder — et toujours surjouant légèrement, mais force est de constater que cette façon de jouer convient parfaitement à cette scène tellement atypique.

Puis ça se dégrade : on a droit très rapidement à deux brèves scènes pornographiques (le héros entrebâille deux portes dans une maison close, à Paris, l’éternel cliché), et il y en aura deux autres un peu après. Pourquoi ?? On saura pourquoi plus tard, mais je trouve dingue et tellement malsain que le scénariste de cet épisode (et créateur de la série), David Weil, impose au public du monde entier le voyeurisme de quatre actes sexuels non essentiels à l’intrigue. Ne se dit-il pas qu’il y aura des adolescents derrière l’écran ? La pornographie s’est-elle à ce point immiscée dans la vie des gens qu’il pense que cela ne pose aucun problème ?

Et le reste de ce premier épisode ne sauve rien. Le jeune couple (le héros et sa copine) qui se bécote de façon interminable et échange des banalités donne l’impression que l’on est devant une comédie romantique sans intérêt. Le personnage de Logan Lerman, les cheveux désormais longs (étrange croisement entre Keanu Reeves, Aaron Taylor-Johnson et Tahar Rahim), a perdu sa vivacité de jeune homme nerveux et est désormais adulte, calme, posé et inexpressif (inexpressivité qui est hélas accentuée par ses mèches qui cachent l’extérieur de ses yeux et par sa barbe épaisse qui lui mange le visage, il est joli comme un cœur ainsi, mais, pour que le public puisse lire les émotions sur son visage, c’est une énorme erreur de lui avoir donné cette apparence), il y perd, ça inspire beaucoup d’ennui, et je pense que l’acteur n’a tout simplement pas assez de talent pour être bon dans ce type de personnage réservé. Bogart, Gary Cooper et John Wayne savaient être passionnants en étant, en apparence, impassibles, mais ils avaient un charisme vibrant. De nos jours, Michael Fassbender excelle dans ce type de rôle. Mais ce n’est pas donné à tout le monde, loin de là.

Suite du naufrage :

– On redonne à Jerrika Hinton son rôle d’enquêtrice du FBI, mais on la fait minauder, façon Kristen Stewart, et on lui donne des scènes pas du tout crédibles.

– Al se double visiblement lui-même pour une phrase en yiddish et des phrases en allemand, ce qui n’est pas du tout un problème en soi, mais le son n’est pas le même ! On devine que ce petit travail tout simple de postproduction a été mal fait ! (Et il y aura le même problème technique sur d’autres phrases dans un épisode ultérieur.)

– Les chansons françaises de la bande-son (l’action se passant à Paris) sont toutes spécialement nulles.

– L’herbe et l’arbre factices mis sur un quai de Seine sont ridicules quand on connaît Paris.

– Tout ce qui concerne Hitler est très complaisant et étiré excessivement pour épater le spectateur.

– La réalisation et la photographie sont moins brillantes car désormais assez semblables à tant de séries B de luxe formatées sur le même moule (du type fumée dans une ruelle pleine de poubelles).

Il n’y a rien à sauver, on ne retrouve pas du tout la fraîcheur de la première saison. Même la musique du générique de début était bien meilleure pour la première saison.

À partir de l’épisode 2, c’est meilleur, donc j’en viens à penser que l’équipe a eu la pression, ou s’est mis la pression, pour réussir le début de cette seconde saison, et la pression est souvent contre-productive. Mais la narration va et vient en permanence entre passé et présent, donc on s’y perd un peu, bien que l’année soit notée au début de chaque nouvelle séquence, et ça crée deux histoires différentes, ce qui fait que l’on doit à chaque fois se remettre dans le bain… Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que j’ai compris que les scènes dans le passé, avec Al dans le rôle central, étaient antérieures à ce qui s’est passé dans la saison 1 (donc un prequel), et l’autre intrigue, avec la bande des Hunters reformée, est, classiquement, postérieure aux épisodes de la saison 1 (mais avec moult allusions à des choses qui se sont passées entre la saison 1 et la saison 2, et que, contre toute attente, on ne verra jamais à l’écran en flash-back).

Force est de constater que c’est la partie avec Al qui est la meilleure. Et je dois dire que je suis admirative du fait qu’à 82 ans, Al soit, une fois de plus, aussi passionnant à voir : toujours inspiré dans son jeu et imposant de charisme, tout en étant très naturel, et dans un registre plus sombre cette fois-ci, moins léger que dans la première saison, ce qui rend son rôle d’autant plus captivant. Et je ne comprends pas une seule seconde pourquoi, selon Wikipédia, il a un statut d’invité dans la saison 2 : non, il est aussi présent à l’écran que dans la première saison ! Et, sur un plan cinématographique, son rôle est encore plus fort, puisque Meyer Offerman n’est plus le grand-père idéal que j’ai décrit plus haut pour la saison 1, c’est un homme bien plus complexe (je n’en dis pas plus). Cerise sur le gâteau, à 82 ans, il ne paraît guère plus que ses 79 ans de la première saison.

Moment de grâce : dans le quatrième épisode, à la 18e minute, les quinze premières secondes de Up around the bend, de Creedence Clearwater Revival, avec travelling avant sur Al ultra-chic en costume et Ray-Ban Aviator… Mythique. Excellente trouvaille. Hommage à la séduction intacte d’Al du haut de ses 82 ans. (Hélas, patatras, cette scène ultra-classieuse est suivie, trois secondes plus tard, d’un rapport sexuel à l’écran, qui se veut comique, mais qui reste un rapport sexuel explicite et bruyant.)

De plus, le savon qu’Al passe, dans la scène suivante, au personnage de Josh Radnor (en slip, dans sa caravane, sur le tournage d’un énième navet) est phénoménal d’assurance et d’agressivité maîtrisée. On a l’impression de voir un condensé du Parrain, de Scarface, de L’Impasse et de Heat dans son jeu, et ce, à 82 ans. C’est puissant et bouleversant.

Puis, seulement trois minutes plus tard, sa rencontre avec la pseudo-religieuse est d’une très grande force aussi, sans côté comique cette fois-ci : l’entendre dire quelques mots en allemand à propos du père de la jeune femme pour lui faire comprendre qu’il connaît son secret, et voir l’émotion muette sur le visage de l’actrice, Kate Mulvany, c’est un grand moment de cinéma.

Pour l’anecdote : dans le sixième épisode, on voit Al marcher quelques secondes dans un paysage champêtre ; cela fait incongru, car, comme je l’ai expliqué dans ma chronique de Bobby Deerfield, on peut compter sur les doigts des deux mains le nombre de minutes qu’Al a passé à la campagne sur un écran en plus de soixante ans de carrière !

Hélas, les séquences dont la temporalité se situe après la saison 1 (donc la partie sans Al) sont moins intéressantes, pour trois raisons.

Primo, la bande des chasseurs de nazis s’est certes reformée, mais tout est moins bien fait et moins attachant que dans la première saison. En particulier, l’enquêtrice du FBI, dont une strate de chaque épisode de la saison 1 était centrée sur son travail, avait alors un joli rôle (indépendante, tenace, douce et sensible à la fois), mais elle a rejoint la bande dans la seconde saison, et, avec ce changement de registre, en devenant un membre parmi les autres, elle devient très peu intéressante. En outre, très clairement, les scénaristes de la saison 2 ne savent pas quoi faire du personnage de Carol Kane (qui joue une rescapée des camps âgée) ou l’ont gardée contre leur gré, donc elle est cantonnée à dire une phrase par-ci, par-là, on en est embarrassé pour elle. Même la réalisation et la photographie me bluffent désormais beaucoup moins. Preuve de la baisse de niveau : les diverses fusillades interminables (elles étaient bien plus courtes dans la saison 1), qui font plus film pour adolescents que série pour adultes.

Au sujet de la réalisation, je suis étonnée de voir qu’à seulement trois ans d’écart, les réalisateurs ne sont plus du tout les mêmes :

– Phil Abraham réalise les épisodes 1, 2, 4, 6 et 8 (je découvre sur Internet qu’il fait partie du gratin des réalisateurs de séries, puisqu’il a tourné des épisodes de toutes les séries célèbres depuis quinze ans) ;

– Tiffany Johnson réalise le 5 ;

– Sam Taylor-Johnson (seule réalisatrice connue des deux saisons) réalise le 3 ;

– et David Weil réalise le 7, alors qu’il était jusqu’alors le créateur, coproducteur et scénariste régulier de la série (il a scénarisé ou coscénarisé neuf des dix-huit épisodes). Comme cet épisode 7 est tout à fait à part, puisqu’il n’implique pas les personnages habituels, et que le récit de cet épisode est particulièrement éprouvant, car il nous montre une famille juive cachée pendant la guerre, avec une scène finale d’un onirisme spectaculaire, j’en viens à penser que cet épisode comptait tellement pour lui, peut-être pour des raisons familiales, qu’il a voulu le réaliser lui-même. (Je découvre après coup qu’il n’a que la trentaine — c’est extrêmement et admirablement jeune pour avoir réussi à créer une série et la faire financer —, et qu’il est le petit-fils de survivants de la Shoah : c’était prévisible, il est certainement impossible de créer un projet de si grande ampleur consacré à l’Holocauste sans avoir un lien familial fort avec cela. Il est d’autant plus remarquable qu’il ait réalisé un épisode aussi brillant formellement alors qu’il n’avait que peu de réalisations à son actif, trois épisodes d’une autre série deux ans plus tôt.)

Parmi les chefs opérateurs, un seul était présent à la première saison : William Rexer, épisodes 1, 2, 4 et 7. Les autres sont John Lindley, épisodes 3 et 5, qui a essentiellement travaillé dans le cinéma, mais seulement pour des réalisateurs mineurs, et Tari Segal, épisodes 6 et 8, jeune femme quadragénaire ayant peu de films à son actif.

Deuxième point faible, Jennifer Jason Leigh a un rôle récurrent, puisqu’elle fait elle aussi partie de la bande désormais, mais son rôle n’est pas bien écrit, et/ou son interprétation n’est pas brillante : soit elle surjoue le détachement cynique et dur (et comme sa voix est fort désagréable à entendre, ça fait beaucoup), soit elle est soudain davantage (on ne sait pourquoi) dans une certaine mollesse, donc la caractérisation de son personnage n’est pas bonne. Je ne suis pas loin de penser que sa présence au casting est un boulet pour cette seconde saison. La comparaison inévitable avec Lena Olin, que l’on retrouve également dans cette seconde saison, est flagrante : filmées toutes les deux dans la petite soixantaine (mais Lena Olin a sept ans de plus), dans deux rôles de femmes dures (une nazie et une rescapée des camps), Lena Olin est, elle, magistrale dans la perfidie et constante dans son jeu.

Tertio, le rôle (assez présent) de la petite amie du personnage principal joué par Logan Lerman est ennuyeux au possible ; dans cette série à suspense, avec une incessante traque de nazis faite par des êtres tous assez cabossés, la présence cette jeune femme au profil bien sous tous rapports (très ravissante et très amoureuse, sur le point de se marier, étudiante en neuropsychiatrie à la Sorbonne, parents marchands d’art à Londres, n’en jetez plus) affaiblit considérablement le récit et le rend mièvre. Quitte à ce que le héros soit désormais en couple, il aurait été cent fois mieux que sa compagne soit beaucoup moins Mademoiselle Parfaite, qu’elle ait des zones d’ombre.

Un mot sur deux autres personnages :

– Tommy Martinez (dont le visage est un parfait morphing entre James Franco et Matt Dillon, c’est perturbant !) est très bien dans le petit rôle de Georges, un Français. Certes, on ne perçoit pas chez lui l’inventivité d’un Tom Hardy (il y en a peu, des comme ça, dans chaque génération…), mais il a quelque chose et il joue bien.

– Et Greg Austin, les cheveux plus foncés et coiffés différemment (ça lui va très bien), reprend son rôle de psychopathe à la solde des nazis et reste intéressant, voire l’est encore plus, il passe à la vitesse supérieure, il fait même un peu penser à Malcom McDowell dans Orange mécanique. Je vois que sa carrière est très maigre, c’est assez curieux quand même, il a beaucoup d’atouts (physique, jeu, présence) pour être bien plus célèbre. Pour l’anecdote, étant donné sa ressemblance, dont j’ai parlé plus haut, avec Brad Pitt, la séquence où il est en jean et torse nu au début du troisième épisode est très certainement un clin d’œil à la célèbre scène où Brad Pitt est debout sur le toit dans Once upon a time in Hollywood.

En quelques mots : je recommande de prendre brièvement un abonnement à Prime Video le temps de voir ces dix-huit épisodes (la désinscription est très facile). Premièrement parce que, sur le plan de la réalisation et de la photographie, cette série est loin au-dessus de la grande majorité des films actuels, souvent désespérants de banalité. Deuxièmement parce qu’Al y est merveilleux. Troisièmement parce que, à l’heure où l’antisémitisme remonte en flèche, à l’heure où Serge Klarsfeld, LE chasseur de nazis pour nous, Français, dit qu’il va voter pour le Rassemblement national, parti d’extrême droite qui a été fondé par d’anciens collaborateurs et un ancien Waffen-SS, voir dix-huit épisodes sur le thème de la Shoah et de la folie antisémite est plus que jamais indispensable.