2019 Once upon a time in Hollywood

Je ne suis pas du tout une inconditionnelle de Tarantino, car son cinéma comporte toujours deux facettes majeures qui ne me plaisent pas : le côté épate/petit malin/roublard/second degré/bande dessinée et, ce qui en découle selon moi, une absence de profondeur et d’un minimum d’introspection (je ne suis jamais émue par quoi que ce soit ou qui ce soit dans ses films…). Mais, bien évidemment, il a une grande science du cinéma en tant qu’industrie de divertissement, donc on est toujours assuré d’être au spectacle et de ne pas s’ennuyer, bien que ce ne soit pas toujours subtil (cf. les sempiternelles séquences de violence XXL, qui l’intéressent bien plus qu’elles ne m’intéressent) et pas toujours réussi (par exemple, des Huit salopards, je garde uniquement un souvenir de huis-clos ultra-sanguinolent, point final), donc on est loin des grandes œuvres qui marquent au fer rouge et nous rendent prolixes pour décrire notre émotion de spectateur.

De prime abord, ça commence bien : le générique m’offre la joie et la satisfaction de voir le nom d’Al, l’année de ses 79 ans, après celui de trois stars comme Tarantino, DiCaprio et Pitt ; rien que ça, ça me fait plaisir, c’est un bon point. De là, bonne surprise, le film démarre immédiatement sur la séquence avec Al (huit minutes seulement, hélas), c’est une excellente idée de Tarantino (probablement une idée en tant que fou de cinéma : commencer un film avec la superstar Pacino), et il y a un hommage clair et net à la célèbre scène finale de Scarface, car le décalque est presque total lorsque DiCaprio se sert d’un lance-flammes sur des méchants tout en étant en hauteur dans un bâtiment.

Autre point fort du film, les deux acteurs principaux : leur association marche à merveille, et l’amitié entre ces deux personnages sur la pente déclinante de leur carrière respective est même touchante (pourtant, comme je l’ai dit quelques lignes plus haut, je ne suis jamais touchée par les histoires de Tarantino).

DiCaprio est, comme toujours, un stradivarius dans son jeu, l’un des plus grands acteurs du cinéma moderne, et de loin (je suis d’autant plus admirative de son talent qu’il n’a pas — contrairement à un certain Al P. — l’avantage d’avoir d’assez grands yeux comme atout supplémentaire dans son jeu), mais un stradivarius avec une corde désaccordée cette fois-ci, car on le voit très souvent, presque jusqu’à la fin du film, trop forcer le trait sur la nervosité, le stress, le découragement et la mauvaise hygiène de vie de son personnage, donc petite déception et petit agacement. (De même, dans Killers of the Flower Moon, sorti récemment, sa perpétuelle moue amère est tellement surjouée, excessive et agaçante, c’est surprenant…)

Une fois qu’on a été amusé — les premières minutes — par ce personnage inédit pour lui (il fume, il boit, il tousse, il crache, il jure, il est mal dans sa peau), ce gimmick est étiré comme un chewing-gum durant tout le film, c’est incroyablement répétitif et simpliste, comme si Tarantino, tellement fier et content d’avoir trouvé un truc inédit (DiCaprio jouant un loser), ne pouvait pas s’arrêter de tirer sur la corde au maximum.

Heureusement, on a un moment de répit dans la course scène (dans le western latino) où il a la gamine sur les genoux et pointe une arme sur sa temps : à ce moment-là, DiCaprio ne joue donc plus le loser de l’intrigue principale, son personnage joue un méchant dans un western (un film dans le film, donc), et, là, l’immense acteur qu’il est rend cette courte scène fantastique grâce à l’intensité de son jeu et à son inventivité (avec, comme difficulté supplémentaire pour lui, la mise en abyme de jouer un acteur médiocre et aux abois faisant de son mieux pour bien jouer)…

Bien sûr, un grand point fort du film (ça a été dit et redit) est aussi le personnage interprété — à contre-emploi — par Brad Pitt : cet homme nonchalant, placide, stoïque, toujours calme et flegmatique, toujours de bonne humeur, acceptant avec philosophie son statut peu reluisant de chauffeur de vedette de série B à la suite de sa carrière de cascadeur (avec, en point d’orgue, la scène très belle et instantanément culte où il est sur le toit) est une excellente idée de personnage (le mérite en revient à Tarantino, puisqu’il a écrit le scénario) et est magnifiquement incarné par Pitt, je peux d’autant plus le souligner que cet acteur ne m’intéresse absolument jamais. Qu’il ait obtenu l’Oscar du second rôle masculin pour cela est pure logique et pure justice.

Si vous ajoutez à tout cela la maestria de la réalisation (comme toujours très stylisée), la magnifique photographie (couleurs, netteté, grain de l’image) et l’ode à Los Angeles, en particulier via les séquences des trajets en voiture, ça démarre très, très, très bien.

Et puis… une avalanche de points faibles arrive et rend le film très long et agaçant :

– il y a beaucoup de longueurs, selon moi, par exemple les pastiches/hommages aux séries B kitsch que Tarantino adore (mais comme cela revient souvent dans le film, ça le leste de beaucoup de moments plus faibles), et je pense en particulier à toute la (longue) partie qui concerne le tournage du western latino médiocre et caricatural (excepté quelques bonnes idées au début, c’est tellement ennuyeux et pas drôle ! Y compris les scènes en marge de ce tournage, qui sont lentes, longues, creuses et verbeuses). Et, enfin, les dix-neuf interminables minutes dans le ranch/squat sont d’un ennui abyssal : ça se veut décalé et déroutant, c’est juste, pour moi, totalement creux et interminable, d’ailleurs on n’arrive pas à distinguer les jeunes comédiennes les unes des autres tant leurs rôles de hippies vivant en communauté sont inexistants ;

– la vacuité du personnage de Sharon Tate est très surprenante et choquante, voire perverse, par égard pour la mémoire de la défunte : quelle part de ce ratage revient au jeu de Margot Robbie et quelle part revient à l’écriture du personnage par Tarantino ? J’ai rarement vu un personnage aussi insipide, Sharon Tate y apparaît profondément ennuyeuse, sans guère de personnalité, sans propos intéressants, une ravissante idiote : toujours ultra-souriante, toujours en train de danser, et rien d’autre, c’est sidérant… Et comme Tarantino ridiculise gratuitement ce personnage en le filmant en train de ronfler pendant son sommeil, ça renforce l’impression qu’il a cherché à la peindre sous un jour défavorable… Pourquoi ??!! Cette femme a réellement existé, a connu une mort atroce et absurde, et Tarantino a la muflerie de l’immortaliser sous un jour uniformément creux et presque bébête. Ce serait déjà très peu éthique s’il s’agissait de quelqu’un dont les proches sont morts, mais son mari, Polanski, vit toujours ! C’est d’ailleurs paradoxal, et très touchant, que les quelques secondes où la vraie Sharon Tate apparaît dans deux extraits de film (superbe idée… et poignante, quand on connaît sa fin tragique) la montrent bien plus intéressante, avec une gravité, une intensité naturelle, rien à voir avec le côté Barbie de Margot Robbie dans ce film. Je suis très surprise de n’avoir jamais lu quoi que ce soit dans la presse sur le traitement de ce personnage ayant existé…

J’ai d’ailleurs été aussi très, très gênée que, en plus, Tarantino montre Polanski comme quelqu’un de ridicule (en particulier dans la très courte scène où il lance une balle à son chien), et avec, par ailleurs, le message implicite (mais qui saute aux yeux dans plusieurs scènes) que, lorsque Polanski était absent, sa femme le trompait peut-être avec son compagnon précédent (ce qui a pour effet collatéral d’atteindre l’honneur de Sharon Tate également). Vraiment, j’ai eu l’impression que Tarantino voulait porter préjudice à Polanski et le blesser, et je soupçonne que Polanski a dû un jour dire quelque chose de hautain sur les films de Tarantino et que celui-ci s’est promis de se venger un jour. À moins que, Polanski étant persona non grata dans le cinéma contemporain, Tarantino ait voulu hurler avec les loups et dénigrer quelqu’un qui ne sera défendu par personne ;

– dans un petit rôle assez présent, Margaret Qualley (sur)joue extrêmement mal une hippie aguicheuse et fofolle, c’est pénible de la voir jouer si mal ;

– les séquences de trajets dans les voitures — très bonne idée en soi — sont bien trop nombreuses ! Ça finit par sévèrement lasser ;

– le dernier défaut est le fait que la bande-son est surchargée de morceaux moyens (comme souvent chez Tarantino : des morceaux soul des années 70 ni bons ni mauvais et qui n’ont pas marqué les esprits, ça s’appelle un robinet d’eau tiède), à l’exception notable de Out of time, l’un des plus beaux morceaux des Rolling Stones.

Heureusement, ça redevient bien plus intéressant sur la fin, avec DiCaprio jouant plus sobrement, et assez touchant avec sa coiffure ringarde qui se veut tendance, sa nouvelle épouse, avec laquelle on sent qu’il n’a aucun lien fort, et ses navets tournés en Italie et censés donner un second souffle à sa carrière, ce qui l’apaise un peu : DiCaprio est alors fantastique, jouant parfaitement un personnage bonhomme, sympa, un peu gauche.

DiCaprio m’épate : même après tant d’années de carrière, il démontre en quelques scènes qu’il serait un acteur comique génial, ce à quoi personne n’a pensé ! Si le film avait été bien plus centré sur ce personnage à la Peter Sellers, ça aurait été un régal.

Par ailleurs, les séquences nocturnes où les hippies se dirigent vers la maison où ils vont accomplir leur crime sont magnifiquement photographiées (elles me font penser à Donnie Darko, et à Nocturnal Animals, de Tom Ford). Le visage fiévreux et halluciné du jeune tueur dans la voiture est aussi une superbe image, le comédien (Austin Butler) a été vraiment bien casté ; et j’ai aussi eu cette impression très forte (et glamour, bien que ce soit inconfortable de penser ça pour un tueur) qu’il me faisait penser à un autre voyou psychopathe très marquant et assez proche : le personnage d’Aaron Taylor-Johnson dans Nocturnal Animals, une très belle performance, très justement récompensée par un Golden Globe.

En outre, ce choix scénaristique de changer, dans la fiction, ce qui est réellement arrivé à Sharon Tate est une idée belle et émouvante : par le biais de la fiction, Tarantino offre cette possibilité virtuelle qu’elle n’ait pas été tuée et que son bébé soit né ; j’ai trouvé cela très beau et très sensible.

Un autre détail beau, sensible et touchant (je vais finir par tresser des lauriers à Tarantino !) : le moment où la vraie Sharon Tate regarde presque le spectateur dans les yeux (c’est à la limite du regard caméra), alors que son double (incarné par Margot Robbie) dans la salle de cinéma est vivant et que l’on sait quelle sera la fin de Sharon Tate dans la vraie vie (suppliant qu’on ne la tue pas, pour qu’elle ait son bébé). Ce regard, c’est vertigineux, et c’est très beau que Tarantino ait montré ça… Je ne sais pas quelle était son intention (il ne donne jamais dans la grande sensibilité), mais le spectateur interprète cela comme il veut.

De la participation d’Al, il n’y a pas grand-chose à dire, car, sur ses huit minutes de scène (et il n’est pas constamment présent à l’écran durant ces huit minutes) + quelques poignées de secondes en fin de film, il joue juste très efficacement un producteur assez roublard (et il fait beaucoup penser à son rôle dans House of Gucci deux ans plus tard, c’est le même type de personnage). Le rôle est trop bref et trop peu écrit pour que l’on en sache plus : est-ce un producteur sans scrupules, voire un arnaqueur, ou pas vraiment ? Il aurait été très intéressant que son rôle soit plus complexe et qu’il revienne à différents moments du film… C’est une occasion manquée. Tarantino a eu la très bonne idée de faire appel à Al alors que celui-ci tournait des films moyens depuis des années, mais a eu la très mauvaise idée de le sous-employer. C’est d’autant plus frustrant qu’Al révèle dans son autobiographie que cette scène était bien plus longue, car elle comportait vingt et une pages de scénario.