2018 Paterno (téléfilm)
Comme à plusieurs reprises au cours de ce Marathon Pacino, je commence ce téléfilm d’une heure quarante sans rien en savoir du tout, absolument rien, et je dois dire que c’est très agréable et stimulant. Par contre, pour pouvoir le voir, une certaine motivation est nécessaire, car, comme pour le téléfilm Phil Spector, sorti cinq ans plus tôt, on est obligé de prendre un abonnement Prime puis un abonnement Max (ex-Pass Warner), ces deux téléfilms ayant été diffusés exclusivement sur la chaîne américaine HBO.
Les premières minutes sont une vraie déception. D’abord, dès la 25e seconde, il y a une private joke un peu trop lourde (une voix off dit à propos du personnage d’Al : « Il était le parrain »), puis j’ai eu complètement l’impression, pendant les dix premières minutes, d’être face à un doublon de L’Enfer du dimanche, sorti dix-neuf ans plus tôt, et que j’ai détesté, puisqu’Al joue de nouveau un entraîneur de foot américain, et les extraits de matchs sont incessants, avec le public hurlant en permanence. C’est très bruyant, et, pour nous, spectateurs français, c’est difficile de se sentir intéressés... Je suis d’ailleurs un peu perplexe à propos du fait qu’Al a joué deux fois dans sa carrière un entraîneur de football américain, ça me paraît très redondant.
En outre, dès le début, on pense aussi à un autre film avec Al, Two for the money, sorti treize ans plus tôt, puisqu’il est aussi à propos du football américain (mais, cette fois-là, Al jouait le patron d’une société de paris sportifs).
Autre déception d’emblée, Al en remet une couche, une fois de plus durant ces années-là, dans le genre fatigué, voûté, vieillissant (et la voix plus rocailleuse que jamais, mais, ça, il n’y peut rien). Dans un premier temps, je me suis dit que, une fois de plus, il n’avait pas mis le curseur au bon endroit (c’est-à-dire que l’on peut être un acteur âgé sans jouer un homme très, très âgé et fatigué), mais, comme il avait 77 ans lors du tournage et que son personnage est censé avoir 84 ans, je comprends qu’il se soit senti obligé d’adopter cette posture, tout simplement pour correspondre aux 84 ans de son personnage.
De plus, le rapprochement inévitable entre L’Enfer du dimanche et Paterno n’est pas à l’avantage d’Al, puisque, avec dix-neuf ans d’écart, son personnage d’entraîneur de foot est passé d’un quinquagénaire dynamique et charismatique à un vieux monsieur un peu terne.
Mais lorsque son personnage, Joe Paterno, se montre enfin punchy, offensif et plus bavard, entre la 17 et la 19e minute, puis entre la 24e et la 28e, c’est bien plus agréable pour le spectateur : tout de suite la magie opère, peu importe l’âge d’Al. Il fait bien percevoir ses innombrables idées de jeu pour nous montrer que son personnage est avant tout obnubilé par son métier d’entraîneur, voire aveuglé, et qu’il ne s’intéresse guère à cette histoire d’actes pédophiles commis au sein de son club et qui viennent d’être révélés par une journaliste. Par exemple, en une fraction de seconde, littéralement, il arrive avec presque rien (dans le regard, le sourire) à nous faire comprendre qu’il est satisfait d’avoir vu en difficulté, sur l’écran de télévision, l’équipe que ses joueurs vont rencontrer lors de leur prochain match.
Petit plaisir pour les fans, à la 19e minute et 4e seconde, il a un très léger haussement d’épaules qui fait immédiatement penser au haussement d’épaule dans Un après-midi de chien, quand son personnage dit à propos de son mariage gay : « Il faut bien s’amuser. »
Après dix minutes où le football américain est omniprésent, on découvre que le film aura en fait pour thème la pédophilie (ce qui apparaissait en filigrane durant les dix premières minutes) et sera très proche, dans la structure, du film Spotlight, sorti trois ans plus tôt et qui a connu un tout autre destin que Paterno, ayant obtenu les Oscars du meilleur film et meilleur scénario.
Bon : football américain + pédophilie, c’est vraiment pour le bien de ce Marathon Pacino que j’ai continué à regarder le film.
Heureusement, passé les dix premières minutes, les scènes de football américain disparaissent presque totalement jusqu’à la fin, et le film devient alors bien plus agréable, quoiqu’un peu confus, avec de nombreux flashbacks, et le suspense est bien présent. C’est bien rythmé et infiniment plus regardable qu’un autre film où Barry Levinson a dirigé Al, The Humbling. De plus, bien que les dialogues soient peut-être trop explicatifs, le film devient franchement attachant quand on voit la famille d’Al — une famille très soudée — essayer de faire au mieux pour comprendre et lui faire comprendre comment il a pu se désintéresser à ce point d’un acte de pédophilie qu’il aurait pu et dû dénoncer. De plus, ce resserrement sur la cellule familiale s’accompagne d’une certaine intensification du suspense.
J’ai été amusée de voir que, comme à son habitude, Al a fait en sorte d’avoir une coiffure différente, ce qui fait que, sur n’importe quelle photo de lui, on peut deviner à coup sûr le film dont il s’agit, ce qui n’est pas le cas de tous les acteurs, loin de là… Il y a bien sûr les rôles où l’on peut le reconnaître entre mille personnes différentes, Scarface, Le Parrain, L’Impasse, Serpico, mais aussi tous ses autres rôles. Il serait d’ailleurs intéressant de faire un quiz avec une photo de chacun de ses rôles. Dans ce film-ci, il s’est fait faire des mèches grises, avec un peu d’épaisseur sur le haut du crâne (à mi-chemin entre une banane rockabilly et la coiffure bien trop plate dont il est affublé dans The Irishman), et il porte de très grosses lunettes.
La photographie est très correcte, travaillée ; les scènes d’intérieur sont élégantes, dans des teintes froides, bleutées et brunes, comme beaucoup de films américains depuis un certain nombre d’années, dont des films avec Al.
Certains seconds rôles sont peu marquants car trop peu présents à l’écran, et le visage de ces acteurs n’est pas facile à mémoriser, mais, à l’inverse, le casting comporte plusieurs belles réussites : primo, l’actrice jouant l’épouse du héros, Kathy Baker, a été excellemment bien choisie, car elle n’a que dix ans de moins qu’Al, contrairement à plusieurs autres films où les actrices jouant l’épouse d’Al étaient trop jeunes, ce afin d’être plus cinégéniques, et elle incarne réellement une femme de son âge, une dame de soixante-sept ans, qui se laisse vieillir naturellement (avec un visage très proche de celui d’Ariane Ascaride, soit dit en passant), il n’y a pas de course au jeunisme, ça fait un bien fou de voir ça à l’écran.
Deuxièmement, l’un des fils est joué par un acteur, Greg Grunberg, qui est très grand et en surpoids, donc c’est un choix inattendu par rapport aux deux acteurs qui jouent ses parents, qui ne sont ni grands ni en surpoids, ça apporte une touche d’authenticité, puisque, dans la vraie vie, un enfant peut être très différent physiquement de ses parents. C’est d’autant plus intéressant que, au contraire, pour le rôle de sa sœur, l’actrice choisie, Annie Parisse (actrice d’origine italienne, de son vrai nom Anne Cancelmi, dont le visage est un croisement entre celui de Mary Elizabeth Mastrantonio et celui de de Teri Hatcher), ressemble énormément à Al, elle pourrait tout à fait être sa fille, étant de trente-cinq ans plus jeune que lui. Il aurait pu d’ailleurs être amusant qu’elle joue sa fille dans plusieurs films, tant leurs visages sont proches l’un de l’autre.
Une idée que j’ai trouvée très bonne et originale pour montrer la complicité de ce fils et de son père : le personnage d’Al dit une location latine à brûle-pourpoint, que le fils traduit comme signifiant simplement « Tout va bien aller » (avec un air comme quoi son père doit souvent dire cette locution), alors que l’on peut voir sur Google que la traduction est en fait tout autre, et bien plus intéressante : « Un serpent se cache dans l’herbe. »
Troisièmement, le second rôle incarné par Riley Keough est intéressant à plus d’un titre. D’abord, une anomalie dans l’écriture de son rôle saute immédiatement aux yeux : elle ne parle qu’avec des gros mots pendant les premières séquences où elle apparaît, puis, pour le reste du film, elle est toujours douce et délicate. Par ailleurs, son interprétation dans ce film est quasi inconnue, alors que, dans un rôle similaire dans Spotlight, et pour une prestation très équivalente, Rachel McAdams a été nommée à l’Oscar du meilleur second rôle féminin. C’est un peu injuste. Enfin, et c’est là le point le plus notable, en tant que méga-hypra-giga fan d’Elvis, son grand-père, il m’a été impossible de ne pas penser, tout au long du film, à la ressemblance entre leurs deux visages, de face mais aussi et surtout de profil et de trois quarts (cette ressemblance est étonnante vu qu’elle est la petite-fille et non pas la fille). Bien qu’elle n’ait pas de scène commune avec Al, je me suis dit que ce film était au moins le troisième point de contact entre le mythe d’Elvis et celui d’Al, le premier point de contact ayant été la liaison d’Al avec Tuesday Weld (une dizaine d’années après qu’elle a joué au cinéma avec Elvis), et le deuxième est la présence d’Ann-Margret (qui a eu une liaison plus ou moins secrète avec Elvis) au casting de L’Enfer du dimanche.
Je découvre, après visionnage, sur la fiche Wikipédia en en anglais qu’il s’agit hélas d’une histoire vraie, et que le projet (avec Al dans le rôle-titre dès le début) a traîné pendant cinq ans avant que le tournage ne démarre.
En résumé : un résultat honorable à plus d’un titre, et le film aurait très bien pu sortir sur grand écran plutôt que sur petit écran, mais il est certainement un peu long, et le thème de la pédophilie est difficile à subir sur plus d’une heure et demie.