2017 The Pirates of Somalia

Ce film n’a pas de titre français, car il n’existe qu’en version américaine ; il n’existe pas en VOD et n’est pas présent dans le réseau des médiathèques de Paris, donc c’est une chance qu’il soit sur YouTube (en VO non sous-titrée), merci à l’internaute qui l’a mis en ligne. (Bizarrement, à part une vidéo d’une minute, la mise en ligne de ce film quasi inconnu est sa seule action sur sa chaîne YouTube… Probablement quelqu’un de l’équipe du film ? Ou un Somalien ayant assisté au tournage ?)

Le film est assez pénible et long à voir, car, sans être exécrable, il n’est pas très bon et est assez ennuyeux. C’est assez étonnant, puisque, à part les vingt premières minutes et les huit dernières, il se passe en Somalie et non pas aux Etats-Unis, ce qui est une rareté (et, sans que ça soit spécifiquement du cinéma-vérité, on sent que les Somaliens filmés sont des non-professionnels — à une exception près — et que les lieux où se passent l’action doivent être très conformes à la réalité sur place).

Autre source d’étonnement, j’ai du mal à facilement cerner pourquoi ce n’est pas bon (alors que, si vous avez lu plusieurs de mes critiques sur ce site, vous savez que je suis très tranchée dans mes points de vue !). Essayons.

D’abord, premier problème, je pense que la narration n’est pas assez bonne (et comme j’ai vu dans les mêmes jours The Irishman, de Scorsese, et Maestro, de Bradley Cooper, le contraste est très net sur ce point) : de nombreuses séquences, sans être particulièrement interminables, sont juste un peu trop longues pour ne pas commencer à ennuyer le spectateur.

Un exemple symptomatique est les vingt premières minutes, avant le départ du héros en Somalie : on devine assez vite que ces vingt minutes servent juste à nous faire découvrir le héros, un jeune homme qui vient d’être diplômé en journalisme, mais qui végète (les scènes où on le voit zoner avec un ami sont très clichés et poussives) et qui n’arrive pas à oublier son ex-petite amie. La voix off du héros (façon Woody Allen) nous explique bien trop de choses à son propre sujet, il aurait été infiniment plus cinématographique et accrocheur de nous MONTRER les choses dites par la voix off (remise du diplôme, scènes avec l’ex-petite amie, etc.), et je ne pense pas que ça aurait fait exploser le budget.

De plus, la voix off nous décrit parfois des choses que nous voyons en même temps à l’écran (ce qui me fait penser que Bryan Buckley, le réalisateur, n’a pas assez confiance en lui et en sa capacité à raconter une histoire juste par l’image). Du reste, une fois que l’on comprend que le film va se dérouler presque intégralement en Somalie, on devine que le réalisateur a fait le minimum syndical pour les vingt premières minutes et a sous-estimé leur importance, ce qui est très dommage.

Un autre exemple : une scène dans un supermarché nous montre que le héros s’occupe professionnellement de façon un peu médiocre (comparativement à son niveau d’études) au lieu de réellement prendre son envol et devenir journaliste ; la scène se veut à la fois informative et comique, mais elle est juste un peu trop longue pour réussir à nous amuser, et elle finit par agacer et mettre mal à l’aise.

Encore un exemple : par la suite, en Somalie, lorsque le héros peut discuter pour la première fois, sur un marché, avec une jeune femme somalienne pour qui il a eu un coup de foudre (coup de foudre très moyennement crédible : il a juste vu un bout de visage, car la femme était voilée, filmée de trois quarts dos, en plongée et d’assez loin, car elle était dans la rue et lui à sa fenêtre, et la voix off du héros nous dit pourtant que l’on comprend immédiatement quand on voit la femme de sa vie…), la scène est bien trop longue et plate (aussi bien dans la réalisation que dans les dialogues), c’est juste une discussion pour faire connaissance, avec la jeune femme rembobinant inlassablement du fil, peut-être pour se donner une contenance et par pudeur (elle est mariée, c’est l’une des épouses d’un chef de guerre).

Un dernier exemple pour montrer le problème systémique dans la narration (et le timing) : lorsque le héros découvre, pièce par pièce, le petit studio délabré dans lequel il va vivre en Somalie, c’est bien trop long, on a presque l’impression de faire nous-mêmes une visite de location en visio !

Le deuxième probable point faible est Evan Peters, le comédien principal (« principal », c’est un euphémisme : il est présent dans 99 % des plans, et absolument tout tourne autour de son personnage, ses actions, ses commentaires en voix off sur ce qu’il vit, ce qu’il fait et son ressenti… On frôle l’overdose) : ce n’est pas un mauvais acteur, il est à l’aise, a une énergie très évidente et une certaine cinégénie (pour info, il est incroyablement semblable à l’acteur Pio Marmaï, en moins brun : visage, surtout le regard, cheveux bouclés, haut du corps, énergie, tchatche, et il fait aussi beaucoup penser à Emile Hirsch dans Into the Wild). Comme pour la narration, il y a quelque chose d’assez indéfinissable qui ne va pas : il joue trop le boy next door dynamique et un peu borderline, langage familier et cool, surjouant les émotions ; c’est très peu intéressant, très peu inspirant, et vite lassant...

De plus, alors que son enquête journalistique en Somalie (qui occupe presque tout le film) a eu un rôle très important (le film est tiré d’une histoire vraie), puisqu’elle a montré aux Etats-Unis une autre image de la Somalie et a incité le gouvernement américain à renouer des relations diplomatiques avec ce pays (rien de moins), on ne voit jamais très bien de quoi est concrètement fait son enquête, à part quelques très rares scènes.

Aussi et surtout, les pirates somaliens du titre ne sont montrés qu’une poignée de minutes près de la mer, sans aucune scène sur un bateau, et encore moins une scène d’attaque de bateau occidental (alors que c’est le cœur du projet de livre du héros) : budget insuffisant ? Absence d’autorisation de la part des autorités locales pour filmer cela ?

Quant à Al, il apparaît dès la 9e minute (bonne surprise), et d’une façon amusante et surprenante : le héros s’assied et, en s’adossant, laisse soudain apparaître Al déjà assis sur le siège à côté (on sent qu’Al est amusé par cette idée de mise en scène). Il incarne un journaliste retraité que le personnage principal admire et rencontre par hasard, et ce journaliste âgé (Al avait 76 ans au moment du tournage) se montre instantanément encourageant et sympathique, et avec une voix très, très rocailleuse (je dois dire que, là, Al a battu son record et que ça n’est pas foncièrement agréable d’entendre sa voix dans ce film).

Hélas, il n’est visible que huit minutes en tout, huit minutes au cours desquelles le réalisateur-scénariste a réussi à lui faire dire deux obscénités et le mettre dans une situation obscène — certes, dans un rêve —, ça n’est pas très malin, je trouve, quand on a la chance d’avoir l’un des plus grands acteurs au monde dans son film : deux minutes trente puis trois minutes au début, et deux minutes trente à la fin. Pourquoi si peu ? Al, peut-être à court de propositions, avait-il juste besoin d’une rentrée d’argent avec une seule journée de tournage, sans souhaiter s’investir davantage (surtout s’il a subodoré, en lisant le scénario, que ce ne serait pas un chef-d’œuvre) ? Ou est-ce qu’il n’y avait pas le budget pour le payer plus que pour un microscopique rôle qui n’apporte que très peu à l’intrigue ? C’est dommage, car il aurait pu être intéressant de voir davantage Al jouer les mentors, y compris avec des appels (téléphoniques ou en visio) lorsque le héros se trouve en Somalie.

Petite bizarrerie : lors d’une scène (filmée de façon mi-onirique mi-psychédélique, c’est joli), on entend (très fort) Et si tu n’existais pas, par Joe Dassin, cocorico !

Bon, fidèle à ma méthode, je me renseigne sur le film après la rédaction de cet article. C’est du lourd… Sur AlloCiné : pas de critiques de la presse, et une seule critique par un internaute. Sur Wikipédia : l’acteur, Evan Peters, a une filmographie peu reluisante, et Bryan Buckley est presque uniquement un réalisateur de pubs et n’a qu’une carrière famélique en matière de fiction (à cet égard, j’ai rarement vu une fiche Wikipédia aussi manifestement écrite par le principal intéressé : il a bourré sa fiche de tout, tout, tout sur lui-même).

Mise en abyme : lors de sa courte séquence finale, Al est à demi allongé sur un lit devant une affiche des Hommes du président, film d’Alan Pakula tourné en 1975 (on pense tout de suite au fait qu’Al aurait pu faire partie du casting !) et avec, sur l’affiche, Robert Redford et Dustin Hoffman, acteur que non seulement Al a réellement connu, mais qui a aussi été son rival notoire sur le plan professionnel (rôles, ressemblance physique et dans le jeu) durant un certain nombre d’années.

Autre mise en abyme : au fur et à mesure du film, le héros se retrouve barbu, les cheveux longs, obsédé par son enquête et à fleur de peau. Toute ressemblance avec un certain Frank Serpico a peut-être été perçue et accentuée par le réalisateur !