2016 Manipulations (Misconduct)
Dès les vingt premières minutes, on comprend quel est le problème omniprésent du film (ce qui explique qu’il ait disparu dans les oubliettes, alors qu’il a pourtant la structure d’un bon thriller) : il fait en permanence cohabiter des points forts et des points faibles… On ne peut pas dire qu’il est très mauvais, mais on ne peut pas dire non plus qu’il est très bon, il est un mix (incessant) des deux.
Quelques exemples dans les vingt premières minutes :
– dès le générique, ça cloche un peu : les noms des stars (Al et Anthony Hopkins) apparaissent après de nombreux noms de comédiens très peu connus ou inconnus… (c’est peut-être pour faire original, mais ça fait juste incongru) ;
– la photographie est très travaillée et cinématographique (dans des tons verts, bruns, et sombres en permanence), c’est très appréciable, MAIS elle est très souvent mal maîtrisée : de très nombreux plans sont anormalement sombres, on a beaucoup de mal à distinguer les acteurs, et l’on baigne perpétuellement dans ces teintes ternes et glauques, il n’y a jamais de scènes plus éclairées qui apporteraient un contraste, même bref, donc on est de loin de réussites comme The Immigrant ou The Dark Knight Rises ;
– le personnage de l’épouse du héros est original, car elle est enfermée dans un repli manifeste sur elle-même et dans la tristesse tout en étant très douce, MAIS c’est excessif : il y a de trop nombreux longs plans sur son mutisme, sur son immobilité, d’autant plus que le scénario met pas mal de temps avant de nous expliquer pourquoi elle est ainsi, et, bien que l’actrice fasse de son mieux pour incarner un personnage si peu vivant, ce repli sur soi est trop souligné, et cette jeune épouse est d’ailleurs bien plus intéressante dans les rares scènes où, tout en restant très douce et effacée, elle est moins figée dans sa souffrance ;
– une séquence où le personnage d’Anthony Hopkins vient remettre une rançon dans une galerie d’art est assez captivante, MAIS la détective qui essaie de retrouver la compagne disparue de cet homme est trop sur ses talons et entre deux secondes seulement après lui dans la galerie (alors que, en toute logique, les ravisseurs doivent scruter s’il est bien venu seul). De plus, elle parle de façon tellement flagrante dans un micro miniature que ça atteint un sommet de comique involontaire ;
– l’acteur qui a le premier rôle, Josh Duhamel, joue bien et a été assez bien choisi (homme passe-partout et calme mais beau gosse, mix de Michael Sheen et Tom Hanks), MAIS il est trop dénué de charisme pour vraiment captiver, et un coup d’œil à sa filmographie le confirme (comme je l’ai écrit ailleurs dans ce Marathon, pour incarner un personnage passe-partout, il faut un très bon acteur qui saura avoir l’air passe-partout) ;
– une ébauche de scène de sexe commence — pour une fois — très finement (la caméra laisse pudiquement les acteurs hors champ, et il y a une très belle musique), MAIS ça vire thriller érotique, avec un cadrage banalement très explicite sur les deux protagonistes.
Et toute la suite du film est au diapason... Les deux pires moments sont, primo, quand le héros se retrouve soudain, pour une scène-clé, dans l’appartement de son ex, alors que l’action ne l’a pas montré venant dans cet appartement, et que rien n’explique ce qui l’a fait venir et, surtout, comment il a pu entrer ; il y a clairement là une ellipse énorme et plus que maladroite dans le montage, et je pense que, pour deux stars comme Al et Hopkins, voir cela une fois le film terminé a dû être une source de gêne ou de honte. Puis, secundo, alors que le héros est en fuite, il se réfugie dans (semble-t-il) les toilettes d’une épicerie et enfile un sweat-shirt et un bonnet pour se camoufler, alors qu’il vient de partir en cavale dans l’urgence, en costume, et que l’on ne sait pas d’où sortent subitement ce sweat-shirt et ce bonnet. Et, comble du ridicule, il achète de la glu pour coller bord à bord une énorme plaie sanglante qu’il vient de se faire au ventre !!
Il y a aussi des maladresses empreintes d’amateurisme dans la narration :
– alors que l’épouse part pour 36 heures de travail, on la revoit très vite revenue à leur domicile sans que rien n’ait donné l’impression que 36 heures s’étaient écoulées, bien au contraire ;
– le héros en fuite appelle son épouse sur son portable comme si de rien n’était, alors qu’elle est forcément sur écoute ;
– il est plusieurs fois dit que le héros vient d’avoir une liaison avec son ex (et ça n’est pas un élément anodin, car son épouse pourrait ne pas soutenir son mari à cause de cela), alors que ça n’apparaît pas du tout à l’écran, on nous montre au contraire qu’il a repoussé ses avances pour ne pas tromper sa femme, et rien d’autre ;
– si vous ajoutez à ça des détails balourds (un plan bien trop long sur une poêlée de tomates, on frôle le ridicule), une musique assourdissante (du type tonnerre) pour créer un suspense lors d’une scène cruciale hors champ, et un personnage féminin qui reste sagement immobile au milieu de la chaussée en attendant qu’un motard qui vient de l’agresser lui fonce dessus, on reste interdit devant cette myriade de défauts…
Pour ne rien arranger, la trajectoire du personnage d’Al dans ce film est presque un copié-collé de son personnage dans La Recrue, tourné treize ans plus tôt, ce qui est assez déroutant.
Ah je vois que le film a été distribué de façon limitée et est très vite passé en VOD, que le chef opérateur n’a pas tourné avec de grands metteurs en scène, et que le film se fait massacrer (excessivement, je trouve) par les spectateurs sur AlloCiné… Tout est dit.
Surnagent quelques qualités :
– Al et Anthony Hopkins (que l’on voit assez peu à l’écran, cependant) sont bien évidemment impeccables, chacun dans son genre, et sans trop en faire, avec une totale économie de moyens : le premier dans le genre roublard et hyper sûr de lui (la marque de fabrique d’Al dans la deuxième moitié de sa carrière), le deuxième dans le genre PDG hautain, impitoyable, vénal et méprisant, proche de son rôle dans The Son, de Florian Zeller ;
– plus anecdotiquement, le petit rôle de l’avocat collègue/copain du héros met dans un premier temps mal à l’aise (il a l’air de sans arrêt tacler son ami, comme si leur amitié était fausse et malsaine, et c’est accentué par la nervosité de son élocution, qui fait penser à Edward Norton, qui aurait été d’ailleurs très intéressant dans le rôle), mais il finit par se montrer vrai ami et solide, donc je trouve que l’esquisse de ce personnage secondaire est intéressante.
Mise en abyme : le fait que le personnage d’Al dise une citation de Shakespeare (« La réputation est un préjugé vain et fallacieux : souvent gagnée sans mérite et perdue sans justice », Othello) est assez savoureux quand on connaît la passion d’Al pour Shakespeare.