2015 Danny Collins
Excellente surprise, alors qu’Al en a pourtant fait la promotion à peu près en même temps que le détestable The Humbling : ce n’est pas un grand film, et on est parfois proches du téléfilm, mais ça se laisse suivre très agréablement, hormis un premier quart d’heure raté, avec, en particulier, beaucoup de vulgarités (quel dommage, ça serait pourtant un très joli film d’amour filial à montrer aux ados, je trouve qu’il faut vraiment être tordu pour commencer un film grand public avec de telles vulgarités, peut-être de peur de passer pour mièvre et démodé ?).
Le thème du film est particulièrement touchant : un chanteur célèbre qui, apprenant que sa vie a failli être différente s’il avait reçu la lettre que John Lennon lui a écrite, décide de quitter sa vie superficielle et de rencontrer pour la première fois son fils adulte et de l’aider, mais il faut 45 minutes de patience avant que ce thème ne décolle réellement.
On est récompensés, car Al est très, très bien dans ce rôle de père qui fait de son mieux pour rattraper, avec générosité et patience, le temps irrémédiablement perdu, mais aussi et surtout parce que le film est boosté par deux magnifiques points forts : primo, dans le rôle du fils, Bobby Cannavale est absolument parfait en gros nounours en colère contre ce père qu’il n’avait jamais rencontré, et qui se laisse petit à petit toucher, tout cela de façon presque amusante pour le spectateur ; et, secundo, quelques chansons de John Lennon en fil rouge, à des moments très bien choisis, sont très touchantes (Love, Nobody told me), voire (en ce qui me concerne) bouleversantes et inoubliables dans le cas de # 9 Dream et d’Imagine
Je m’explique : je suis une inconditionnelle de ce que peut produire l’association entre une sublime musique ou chanson et une scène de film, par exemple la célébrissime musique du Troisième homme, ou le générique de fin de Demolition, de Jean-Marc Vallée (Warmest regards, par le groupe Half Moon Run : l’alliance de cette magnifique chanson avec l’atmosphère du film est un chef-d’œuvre en soi). Mais force est de constater qu’Al n’a pas été très bien servi à ce sujet durant sa carrière, hormis les exceptions notables de sublimes passages musicaux signés Nino Rota dans les Parrain, le Clair de Lune de Debussy à la fin de Frankie et Johnny, et la mélodie récurrente à la mandoline dans Bobby Deerfield (je ne peux hélas inclure dans cette brève liste le magnifique slow Sea of Love qui revient à plusieurs reprises dans Mélodie pour un meurtre, car il n’est pas lié à des scènes avec Al). Je rêve absolument de voir Al — qu’il marche ou soit assis ou allongé, qu’importe ! — avec, comme bande-son, Don’t make me over, par Dionne Warwick, My Ideal, par Chet Baker, Stormy Monday, par Question Mark and the Mysterians, ou My Buddy, par Nancy Sinatra. Je lance une bouteille à la mer, il n’est pas trop tard au moment où j’écris ceci — octobre 2023 —, Al a encore des projets cinématographiques.
Aussi ai-je été profondément touchée par la radieuse et intense harmonie des quelques secondes où l’on voit Al tout en entendant les premières notes de # 9 Dream (je ne peux plus entendre le début de cette magnifique chanson de John sans penser à ces lumineuses images), et par les quelques secondes où, avec Imagine en bande-son, Al est allongé en pyjama bleu nuit dans l’obscurité, avec de grosses lunettes de vue, en proie à un grand bouleversement vu ce qu’il vient d’apprendre (et, à ce moment-là, pure magie, on retrouve le visage du Al Pacino des années 70 et 80…).
Le film mérite d’être vu au moins pour les quelques secondes magiques de ces deux extraits musicaux. Sur le papier, je n’aurais jamais deviné que l’association Lennon/Pacino pourrait être intéressante (ils sont très éloignés l’un de l’autre dans leur art, leur carrière, leur mythologie, leur tempérament), mais elle fonctionne extrêmement bien, c’est inattendu.
En me demandant si ces deux célébrissimes New-Yorkais des années 70 avaient eu l’occasion de se rencontrer, je découvre qu’Al a croisé John dans Central Park, donc peut-être le lieu le plus emblématique de New York pour nous, Européens, et la rencontre est très belle : un regard, un sourire, rien de plus, pas un mot. La classe, tous les deux, définitivement.
Le film est hélas plombé par trois points faibles :
– le premier quart d’heure, comme évoqué plus haut, qui montre la superficialité de la vie du héros et son humeur blasée, mais c’est très ennuyeux et émaillé de grossièretés ;
– secundo, le flirt bien trop répétitif, et pas très passionnant en l’état, avec Annette Bening en directrice d’hôtel (j’ai passé tout le film à croire que ça allait décoller ! Quelle drôle d’idée d’avoir laissé cet aspect du film à l’état d’un simple marivaudage, alors que les attentes du grand public vont forcément dans le sens d’une histoire d’amour, surtout que, avec un acteur de 75 ans et une actrice allant vers ses 60 ans, ça aurait été très charmant) ;
– et, troisième point faible, le fait que le personnage principal n’est absolument pas crédible en rock-star vieillissante, mais est encore adulé lors d’un morceau en concert, pour deux raisons : d’abord, son tube est extrêmement ringard et le public bien trop déchaîné (pour que l’on y croie, il aurait fallu un meilleur morceau, les gars ! et que ce morceau soit quand même plus rock). Puis, à plusieurs reprises, dans la chanson que le héros compose au piano, Al n’a que très peu de voix et chante bien trop bas : ça aurait été la moindre des choses de le faire chanter plus haut ou, mieux encore, de le doubler (il n’aurait pas été le premier acteur dans ce cas-là, ça n’a rien de honteux, c’est pour le bien de la crédibilité du personnage ; je soupçonne fortement que personne n’a osé dire à Al qu’il allait falloir le doubler).
Deux mises en abyme assez vertigineuses : d’une part, le comédien qui joue le fils d’Al fut pendant dix ans le gendre de Sidney Lumet, qui a joué un rôle fondamental dans la vie d’Al en le dirigeant dans deux de ses plus grands rôles (et dont Al parle systématiquement dans ses interviews) ; d’autre part, il y a le second rôle très présent d’Annette Bening (qui flirte tout au long du récit avec le personnage joué par Al), épouse depuis trente et un ans de Warren Beatty, lequel vécut avec Diane Keaton dans les années 70, Diane Keaton que l’on ne peut que relier à Al.