2014 The Humbling

Première chose : je tombe des nues en découvrant que le nom commun du titre original, « humbling », peut se traduire en français aussi bien par « humiliation » que par « humilité », donc deux sens très différents. D’ailleurs, le titre du film au Québec est En toute humilité, alors que le livre dont il est adapté s’appelle en français Le Rabaissement, donc il y a vraiment une ambiguïté entre « humilité » et « humiliation ». C’est un cas d’école, et je devine que le distributeur du film en France a préféré ne pas choisir et a donc gardé le titre tel quel.

Ce film me paraissait relativement attirant : filmé par le réalisateur de Rain Man, scénarisé par le co-scénariste du Lauréat, adapté d’un livre de de Philip Roth (écrivain que je n’ai jamais lu, cela dit), je me disais que le résultat serait, au moins, professionnel. Seule ombre au tableau : Greta Gerwig. Je l’ai vue dans Greenberg et Frances Ha, et elle m’insupporte totalement : ce côté jolie femme/garçon manqué qui ne sourit jamais et parle brutalement, c’est peu dire que ça m’agace.

Je suis navrée de devoir le dire à propos d’un film où joue Al, mais ce film a immédiatement rejoint le petit club des films qui m’ont été totalement insupportables — au sens propre — au fil des années, des films aussi différents que La Moustache, d’Emmanuel Carrère, Alabama Monroe, Rire et Châtiment, avec José Garcia, Moulin Rouge, de Baz Luhrmann, La Grande belleza, La Guerre est déclarée, de Valérie Donzelli, Amanda, avec Vincent Lacoste, Jeune femme, avec Laetitia Dosch, En liberté !, de Pierre Salvadori, La la land, Tetro, de Coppola, Lost in translation, Birdman, Be Happy, de Mike Leigh, les films de Cassavettes et d’Antonioni, Paterson, de Jarmush, Une histoire vraie, de Lynch, Le Souffle au cœur, de Louis Malle, Julie en 12 chapitres, The Hours, ou Les Noces rebelles et Away we go, de Sam Mendes (donc des films adorés par certains !). Je suis d’autant plus triste de détester ce film que, manifestement, Al a dû beaucoup y croire (il en d’ailleurs pas mal fait la promotion dans des master classes visibles sur YouTube), puisque c’est lui qui a acheté les droits après avoir aimé le roman et a choisi le réalisateur.

C’est simple : rien ne va, rien de rien… hormis la photographie soignée :

– Les séquences sont généralement trop longues, inintéressantes, et jamais drôles, alors qu’elles sont souvent censées l’être.

– La caractérisation du personnage d’Al est extraordinairement linéaire : passif, gentil et étonné de ce qui lui arrive séquence après séquence, c’est difficile de vraiment s’intéresser à ce qu’il vit.

– Son vieillissement est sans cesse souligné et amplifié (bien des acteurs de son âge n’auraient pas voulu ternir leur image et leur reste de sex-appeal à ce point, bravo à Al pour son humilité en acceptant cela), on peut même dire que c’est le grand thème du film ; je ne dis pas que c’est un défaut intrinsèquement, c’est juste que, lorsque l’on s’assied devant un écran pour une heure trente, il y a des thèmes plus motivants. Et, malheureusement, pour bien nous faire comprendre que cela parle du naufrage de la vieillesse, Barry Levinson n’y va pas avec le dos de la cuillère dans les nombreuses scènes où la réalisation et le montage s’allient pour nous faire percevoir que le héros est très désorienté, à la limite d’Alzheimer. À noter que, autant la fiche Wikipédia en anglais parle d’épisodes de démence au sujet du personnage principal, autant la fiche Wikipédia en français parle de dépression, ce sont pourtant deux choses totalement différentes, et Levinson ne nous explique pas clairement ce qu’il en est (ça peut être vu comme un point fort ou comme un point faible). C’est seulement dans le dernier quart du film que l’on peut faire un diagnostic un peu moins imprécis : le personnage commence à perdre la tête et cela le déprime terriblement, à la limite de la dépression. Et il faut attendre une heure et vingt-deux minutes pour avoir enfin une scène très touchante (et très claire) : le héros croit parler à sa compagne face à lui, mais elle est absente.

– Nombreuses sont les scènes où un nouveau personnage apparaît, créant un potentiel effet de surprise et de nouveauté — comme dans n’importe quel film —, mais chaque personnage se comporte sur un mode agressif, d’une façon ou d’une autre, et c’est vraiment embarrassant de voir ça à l’écran tant c’est peu nuancé.

– La relation entre le personnage d’Al et celui de Greta Gerwig est incompréhensible : on ne les sent pas amoureux du tout, la raison d’être de leur couple — 43 ans d’écart entre les deux acteurs, mais, à un moment, le dialogue évoque une différence de 32 ans entre les deux personnages — semble ne reposer, pour elle (qui est lesbienne, c’est martelé sur tous les tons), que sur un ancien fantasme de petite fille et, pour lui, sur on ne sait pas quoi, puisque la jeune femme est vraiment abrupte, grognon et pas tendre du tout. De plus, le couple ne dégage rien de sympathique ou de touchant, d’autant plus que la jeune femme est susceptible avec les trois quarts de ce qu’il a le malheur de dire, alors que ce sont pourtant des propos ultra-anodins, donc ce motif récurrent de dispute repose sur du vent, c’est irritant, et le point culminant est la dispute en fin de film : hurlements, hystérie, chacun faisant un double doigt d’honneur à l’autre, c’est une scène insupportablement agressive, et je ne comprends pas qu’un réalisateur n’ait pas l’intuition que ça peut être fait plus subtilement.

– Greta Gerwig a l’air tellement mal à l’aise à l’écran (c’est très cohérent qu’elle soit désormais réalisatrice uniquement), c’est pénible à voir, il aurait fallu une actrice à la Carole Lombard, c’est-à-dire quelqu’un qui adore être à l’écran et qui sait jouer les pestes avec du piquant.

– Même Al me déçoit, car il surjoue l’homme hésitant, balbutiant, sans qu’il nous fasse comprendre s’il est dépassé par tout ce qui se passe ou quand même plutôt serein. De plus, son personnage a 65 ans, c’est grotesque, il aurait fallu changer cela : Al en avait 74 pour ce film (et conformément à ma théorie dite ici et là dans ce Marathon, il a toujours fait environ cinq ans de plus, passé ses 40 ans), et son personnage, voûté, chancelant et souvent hagard agit comme s’il en avait 80 (physiquement et moralement).

– La cerise sur le gâteau : dans le dernier tiers du film, une très jolie musique illustre certaines scènes. Problème : elle est fortement ressemblante (pour ne pas dire complètement plagiée) à la sublimissime musique du Troisième Homme.

Dès le début, tout est raté. Je liste simplement les premières séquences :

– La scène où Al se maquille dans sa loge avant de monter sur scène et se parle dans le miroir n’est pas une mauvaise idée, bien que ce soit très cliché ; le problème est que c’est bien trop long ! Ça finit vite par devenir ennuyeux et très complaisant.

– Lorsqu’Al arrive dans une maison de repos, la scène où il parle de lui dans un groupe de parole est, là encore, bien trop longue, et sans aucun contre-champ sur les personnes présentes ; Al a beau être un immense acteur, c’est complaisant et ennuyeux.

– Lorsqu’une résidente sans-gêne et égocentrique (je ne sais pas comment est ce personnage dans le roman, mais, dans ce film, c’est le personnage le plus crispant qui puisse exister, c’est très pénible à supporter) cherche à lier amitié avec Al et lui parle de ses propres problèmes, c’est tellement long et terne (de plus, elle monopolise la parole) que c’est insupportable. Par ailleurs, une chose que ce personnage dit est censée mettre mal à l’aise, et, de fait, ça met très mal à l’aise que le réalisateur puisse nous balancer si rapidement après le début du film un discours qui contient un élément très glauque (d’ordre incestueux et pédophile, je n’en dis pas plus), alors que le film n’est pas censé être un thriller ou un mélo dramatique, plutôt une comédie sarcastique, avec un humour noir.

– Lorsque le héros reçoit la visite du personnage de Greta Gerwig (qu’il a connue petite fille), cette dernière, assez bourrue, l’embrasse très rapidement, sans aucun rapport de séduction, et Al prend cela philosophiquement, sans passion. C’est absurde, mais c’est pourtant le début de l’histoire de ce couple pour lequel les spectateurs ont payé une place ! Quand on pense à la finesse avec laquelle les rapports de séduction se créaient, strate après strate, dans le cinéma autrefois, ça fait beaucoup de peine.

– Immédiatement après, une scène où ils installent une voie ferrée dans la maison et où le train circule de pièce en pièce doit chercher à nous faire admettre, je suppose, le fait qu’ils sont déjà complices et que cet homme dépressif retrouve son âme d’enfant avec elle, mais comme ça intervient très, très vite et que ça n’a aucune corrélation avec une éventuelle évolution dans leur relation, ça ne touche à aucun moment.

– Les très régulières scènes où le psychanalyste du héros apparaît en visio sur un ordinateur sont totalement creuses et ennuyeuses : l’acteur surjoue le psy raide et austère, le personnage d’Al n’aligne que des banalités.

– Je m’arrête là...

Il n’y a que deux très jolis moments à sauver (et uniquement si l’on est fan) : à la 36e minute, Al a les cheveux (encore beaux et assez fournis) dans le vent, dans une voiture décapotable… (c’est la seule fois de sa carrière, je pense, qu’on le voit ainsi). Et, à 1 h 33 min, surprise, on voit soudain Al traverser les coulisses d’un théâtre dans un magnifique costume bleu marine (avec une cravate et une chemise blanche), se tenant parfaitement droit (et non plus voûté), comme aminci, et les cheveux longs plaqués et rebiquant sur la nuque : la très grande classe, une rock-star, un deuxième Bryan Ferry. C’est un vrai moment de grâce, et une surprise, car ça contraste complètement avec ce que l’on a vu du personnage durant le film et même avec l’image publique d’Al (il ne porte jamais de costume aussi près du corps).