2013 Phil Spector (téléfilm)

Pour voir ce téléfilm (à peu près long comme un film de cinéma, le générique de fin débute au bout de 1 h 24), il faut prendre deux abonnements : Prime Video et Pass Warner (désormais nommé Max, un nom trop commun, c’est un très mauvais choix). C’est un peu contraignant, mais allons-y. De toute façon, étant fan de Spector depuis des lustres, j’étais prédisposée à voir ce film un jour ou l’autre.

Al retrouve là deux compagnons de longue date : Barry Levinson à la production (ils ont collaboré, d’une manière ou d’une autre, sur Justice pour tous, Donnie Brasco, La Vérité sur Jack, puis, plus tard, Paterno et The Humbling), et David Mamet à la production, la réalisation et au scénario (ils ont collaboré au théâtre ainsi qu’au cinéma pour Glengarry, dont Mamet a écrit le scénario).

Le début du film (on est dans les coulisses de la défense de Spector avant son procès pour meurtre) est un peu laborieux, on sent trop que le réalisateur veut faire « film de cinéma », à coup de caméra tournoyante et de punchlines entre avocats, avec un personnage masculin régulièrement là alors que l’on ne connaît pas bien sa fonction, et, surtout, le comédien (je finis par découvrir, au vu de la fiche Wikipédia en anglais, qu’il s’appelle John Pirruccello, et que son personnage est fictif) ne joue que de façon terne et en regardant dans le lointain, c’est très répétitif.

Dans la foulée, il y a une longue scène qui n’est pas bien réussie : l’avocate, jouée par Helen Mirren, va toute seule dans l’antre de Spector (lequel a tout de même tué une femme quelques jours plus tôt, c’est donc un peu saugrenu qu’elle soit seule), allant au hasard, seule, de pièce en pièce (ce qui nous permet de voir le travail sur les décors pour souligner l’étrangeté du maître des lieux), avant de finalement tomber sur lui ; c’est terriblement invraisemblable, et, ce qui n’arrange rien, c’est que, durant cette séquence (comme pendant tout le film), Helen Mirren joue l’indifférence blasée, et Al (avec des dents postiches trop visiblement fausses) est trop reconnaissable à sa voix et son jeu pour que l’on croie qu’il est Spector et que l’on oublie qu’il est Al Pacino.

Cependant, mis à part ces défauts de démarrage, l’ensemble est honorable, se regarde plaisamment (même s’il tourne uniquement autour de la préparation du procès), le rythme et l’image sont bons, l’utilisation de quelques tubes est faite à bon escient (en particulier le très, très beau When I saw you, écrit par Spector seul, et, en générique de fin, Spanish Harlem chanté avec une délicatesse infinie par Rebecca Pidgeon, qui est l’épouse de David Mamet et qui a un petit rôle dans le film). Mais deux points faibles sont très manifestes.

Primo, Al fait certes un excellent travail d’interprétation (on peut le vérifier en cherchant sur YouTube « Phil Spector last interview »), n’a pas peur du ridicule avec ses diverses perruques pas très avantageuses, et montre très bien à quel point Spector était fragile, égocentrique, manipulateur et assez dérangé (pour information, il n’avait que neuf ans et demi lorsque son père s’est suicidé sans explication, un choc qui impacte toute une vie, sans nul doute). En particulier, Al joue superbement un spectaculaire pétage de plomb (de deux minutes, à partir de 1 h 06). Il est d’ailleurs très touchant de découvrir sur Internet que Spector n’avait que quatre mois de plus qu’Al et était lui aussi du Bronx… Quelle destinée pour ces deux gamins d’un même quartier… Quel impact sur leurs contemporains… Mais, malgré tout le talent d’Al, on voit trop « Al Pacino faisant semblant d’être Phil Spector », il aurait fallu un acteur moins connoté qu’Al, puisqu’on pourrait le reconnaître même muet, barbu, avec une perruque et vêtu d’une peau de bête.

Secundo, le personnage d’Helen Mirren (l’avocate qui va essayer de faire innocenter Spector) est terriblement terne : elle a du caractère, mais elle a perpétuellement froid et se mouche sans cesse (ces choix de caractérisation sont agaçants car trop redondants), et elle est tout le temps froide, maussade et impatiente, il n’y a pas de variations dans son personnage. C’est d’autant plus embêtant que le film est centré sur son rôle, donc l’ennui finit par poindre.

Un détail montre qu’il y avait du potentiel, mais que Mamet n’est pas un grand cinéaste : pendant le générique de début, on voit, en plan fixe, une scène un peu énigmatique car filmée de loin, dans un magnifique noir et blanc (qui m’a immédiatement fait penser au travail sur la photographie de Mank, de David Fincher), et c’est sublimé par les Righteous Brothers chantant Unchained Melody (choix de chanson qui se révèle cruellement ironique quand on comprend après coup ce qu’est cette scène). Intriguée que la suite du film n’ait rien à voir avec ce beau noir et blanc, j’ai revu la scène après avoir vu le film, pensant qu’il s’agissait de l’arrivée de l’avocate (puisque la scène suivante la montre entrant dans les locaux du deuxième avocat de la défense) : eh bien non, il s’agit de Spector sortant d’un restaurant, montant dans sa voiture, suivie par celle qu’il tuera ce même soir. (D’ailleurs, si j’en crois la fiche Wikipédia en anglais, la presse anglo-saxonne a beaucoup reproché à Mamet d’avoir fait un film trop en faveur de l’innocence possible de Spector et réduisant à rien du tout la jeune femme ; force est de constater que c’est vrai, et très déséquilibré… Et Mamet a l’air de ne pas avoir assumé, car il a mis en début de film une annonce selon quoi c’était une œuvre de fiction qui n’était pas basée sur une histoire vraie, et il en a reparlé dans des interviews. Il se fiche du monde !! C’est un décalque d’une histoire vraie !!) Bref, s’il avait filmé Spector et la jeune femme de plus près pour cette belle minute de générique, nous permettant de comprendre qui l’on voyait, cette séquence aurait été bien plus intéressante, utile, forte, et touchante, nous montrant cette femme allant, sans le savoir, vers la mort.

Donc, pour conclure, un téléfilm pas désagréable mais pas indispensable, et avec le handicap (prévisible, si l’on y réfléchit) que, si Al joue un personnage célèbre, la surimpression des deux hommes gêne et n’arrive pas à s’oublier, comme Brando lorsqu’il a joué Napoléon, et à l’inverse de Tom Hulce jouant Mozart, Sam Riley jouant Ian Curtis dans Control, Peter O’Toole jouant Lawrence d’Arabie, Marion Cotillard jouant Edith Piaf, ou Gaspard Ulliel jouant Yves Saint Laurent : ces moments de grâce où l’on oublie l’acteur pour ne voir que la personne célèbre.

Nota bene : il est profondément touchant de voir dans ce film l’acteur Jeffrey Tambor (qui joue l’avocat de Spector, mais on ne les voit que quelques secondes à l’écran ensemble, de la 32e à la 34e minute, car son personnage va rapidement confier la défense au personnage d’Helen Mirren, pour aller travailler sur un autre dossier), alors que, trente-quatre ans plus tôt, ils partageaient l’affiche de Justice pour tous (jouant des collègues et amis), un jalon très connu dans la carrière d’Al.