2012 Les Derniers affranchis (Stand Up Guys)
Avec ce film, je m’aventurais pour la première fois dans la période notoirement faible de la carrière d’Al, et je craignais de voir mon nouveau héros déchoir un peu dans mon estime XXL. Je suis en fait agréablement surprise, et je ne comprends pas que ce film ait connu le destin assez infamant de sortir en DVD (en ce qui concerne la France) sans passer par les salles. D’ailleurs, je constate que de nombreux cinéphiles sur AlloCiné pensent comme moi.
Certes, c’est un film de gangsters un peu particulier, puisque lesdits gangsters ont dépassé les soixante-dix ans et que l’action ne s’étend que sur vingt-quatre heures (je pense d’ailleurs que ce sont tout simplement ces points qui ont dû effrayer les distributeurs : casting âgé et récit sans assez d’ampleur). Mais c’est tout à fait regardable :
– la photographie, aussi bien de jour que de nuit, est vraiment belle (les séquences de nuit, en particulier, me font même penser à des scènes similaires dans L’Impasse, de De Palma, c’est vraiment une réussite, et je suis consternée de voir que le directeur de la photographie a une carrière peu reluisante, c’est injuste) ;
– le duo Walken-Pacino est hyper attachant, le premier joue magnifiquement bien dans le genre sobre, doux, calme, c’est un bonheur de le voir et de l’écouter, et le deuxième (passé un premier moment de surprise, car son personnage est très grivois…) est très bien dans le genre loustic borderline mais très sympathique, et leur complémentarité, par effet de contraste, est très réussie ;
– enfin, un comparse pendant une partie du film apporte quelque chose de vraiment intéressant grâce à l’acteur Alan Arkin (dont je ne connaissais absolument pas le nom, et je découvre, en regardant sa filmographie sur Internet, que je n’ai absolument pas mémorisé son visage dans d’autres films), car lui aussi joue un ex-truand plein de douceur et terre-à-terre.
Soit dit en passant, j’ai eu l’occasion, peu de temps plus tard, de voir Alan Arkin dans un film tourné… quarante-sept ans plus tôt ! un film à sketches inégal et souvent trop lent de Vittorio De Sica. En voyant Arkin dans l’un des sept sketches, on peut comprendre pourquoi il n’est pas devenu une star : il joue correctement, mais n’a aucun charisme, et son physique est terriblement passe-partout. À l’inverse, dans un autre sketch, Michael Caine est absolument charmant, touchant et drôle dans un rôle pourtant totalement muet, alors que celui d’Arkin a pas mal de texte ; et c’est pour ça que Madness a fait une chanson qui s’appelle Michael Caine et non pas Alan Arkin…
Bref, un petit film très plaisant, qui ne méritait pas de tomber aux oubliettes comme cela. En y voyant Al à soixante-dix ans passés, toujours maître de son jeu, sa peau tannée m’a fait penser à Sean Connery dans Le Nom de la rose : certes, Sean Connery a tourné dans ce méga-succès alors qu’il avait plus de quinze ans de moins qu’Al dans ce film-ci, mais tout de même, pourquoi ne pas avoir donné de tels rôles à Al dans sa dernière partie de carrière ? Quel gâchis…
Une mise en abyme assez fascinante : je découvre que le réalisateur (qui a eu lui aussi, hélas, comme le chef opérateur, une carrière de seconde zone, c’est très dommage au vu de ce qu’il a su faire dans ce film-ci) était en couple avec Michelle Pfeiffer lorsqu’elle était en couple à l’écran (et quel couple !) avec Al dans Frankie et Johnny… À vrai dire, ce n’est pas seulement que ce soit une mise en abyme (les carrières des uns et des autres dans le cinéma américain ou français finissent presque toujours par se recouper, sur trente ans), c’est aussi que j’imagine l’anxiété abyssale (et assez douloureuse) qu’a dû ressentir un homme au physique moyen, qui partageait la vie de la plus belle femme au monde à l’époque (selon la presse), de la savoir tournant un film d’amour avec un acteur (Al) qui, peu d’années plus tôt, était l’un des principaux sex-symbols en Amérique !
Autre mise en abyme : Christopher Walken joue aux côtés d’Al trente-cinq ans après avoir joué le rôle du frère de Diane Keaton dans Annie Hall.
Un détail : j’ai été surprise lorsqu’Al dit à un moment le prénom de l’épouse décédée de l’un de ses deux copains (on voit même le prénom sur la tombe un peu plus tard), car il s’agit du prénom de sa fille aînée dans la vraie vie (elle était jeune adulte au moment du tournage). Cela n’aurait rien changé au récit d’opter pour un autre prénom (il y en a des centaines), et je trouve qu’il doit être inconfortable pour un père de tomber pile sur le prénom de son enfant dans un scénario pour évoquer un personnage fictif mort.
Petite taquinerie envers Al : j’ai regardé la fiche Wikipédia de Christopher Walken, car je réalise soudain que je n’ai pas vu ses films célèbres où il tient le premier rôle et que je n’ai pas de souvenirs de lui dans les quelques films que j’ai vus et où il joue un rôle secondaire… Je découvre que, né trois ans après Al (à New York lui aussi), il s’est marié deux mois avant ses ving-six ans et est toujours avec la même femme ! C’est comme si Al vivait avec la même épouse depuis février 1966 ! Il me pardonnera de dire que nous en sommes très loin ! Je dis cela gentiment, et, bien au contraire, le fait qu’il ne se soit jamais marié et la bougeotte chronique qui se dégage de ses nombreuses et successives relations sentimentales de durée moyenne le rendent sympathique.
Point-info « Al parle français » : Al dit « ménage à trois ».