2011 Jack et Julie (Jack and Jill)
J’ai commencé ce film à reculons, car il est connu pour être le film censé avoir le plus dégradé l’image d’Al et de son talent depuis vingt ans, et il a atteint le record de récompenses aux Razzie Awards (ces prix qui sont attribués aux « mauvais » films et « mauvais » acteurs). Je suis donc très surprise de découvrir une comédie qui, certes, ne m’a pas du tout fait rire ou même sourire (hormis trois gros fous rires !! et ça, ça vaut de l’or), mais qui se laisse très plaisamment regarder et qui, surtout, a deux très gros atouts.
Le premier gros atout est le rôle de la sœur jumelle : les premières minutes, je me suis dit que le film allait être très, très long tant elle est caricaturalement bruyante, maladroite, collante, pas du tout séduisante, au point d’en être très agaçante pour certains personnages et, possiblement, pour les spectateurs (je découvrirai par la suite que la presse mondiale a effectivement particulièrement détesté ce personnage).
En fait, j’ai très vite changé d’avis et ai été impressionnée par le caractère excessif, voire dadaïste, de ce personnage sans limites dans le sans-gêne, mais aussi très touchante, au bout d’un moment, étant donné sa solitude. J’ai une grande admiration pour Adam Sandler d’avoir su si bien jouer non seulement cette femme, à la fois too much et émouvante, et son frère jumeau, au contraire très calme et posé, mais aussi (à un certain moment du film) le jumeau se faisant passer pour sa sœur et donc essayant de copier sa façon d’être. Chapeau pour avoir réussi à jouer cet entre-deux…
Qui plus est, tout le texte dit par la jumelle est parfaitement écrit, il y a vraiment des réparties bien trouvées, c’est très rare (dans les comédies contemporaines, les dialogues sont souvent si fades, voire vulgaires), et les scènes coupées, présentes dans les bonus du DVD, le confirment. Pour moi, ce personnage féminin ridiculissime est au même niveau que les personnages principaux de Tootsie et de Mrs Doubtfire, en bien plus extrême, et est donc regrettablement inconnu.
Deuxième point fort, l’arrivée d’Al au bout de trente-cinq minutes est fantastique : c’est une idée géniale de lui avoir fait jouer non pas un acteur célèbre et fictif mais lui-même. De là, voir le sex-symbol et séducteur qu’est Al tomber fou amoureux d’une femme si peu attirante uniquement parce qu’elle vient du Bronx comme lui, et voir cette femme, qui voudrait tellement ne plus être célibataire, n’être absolument pas intéressée par un homme aussi séduisant qu’Al est une franche réussite comique et deux grandes idées burlesques. De plus, bien évidemment, Al joue cela à la perfection, et je ne me souviens pas d’avoir vu une star accepter d’aller autant dans l’autodérision, dans un personnage portant son propre nom qui plus est, c’est hyper casse-gueule et audacieux de sa part (regardez le film pour découvrir cela !).
Si vous ajoutez à tout cela que les rôles généralement agaçants de la jolie et gentille épouse et des deux enfants sont bien joués et sympathiques (avec ce génial gimmick surréaliste de la petite fille qui porte systématiquement les mêmes tenues que sa poupée), on a encore plus une chouette comédie.
De là, je découvre des dizaines et dizaines d’avis apocalyptiques des critiques professionnels et du public, et je suis dans l’incompréhension la plus totale face à leur rejet radical, qui est aux antipodes de mon point de vue. Comment peut-on dire qu’Al se ridiculise et cachetonne, alors que, au contraire, il recherche délibérément (et avec succès) l’auto-dérision et l’humour à son propre sujet ? J’ai le sentiment que les gens, et a fortiori ses admirateurs, ne veulent pas qu’il soit libre de jouer avec son image dans une comédie si bon lui semble. Mais il fait ce qu’il veut !! Et sans avoir à s’attirer autant d’acerbe mépris !
De plus, comment les gens peuvent-ils dire que le personnage de la jumelle est un ratage total, alors qu’elle est, au contraire, une figure vraiment originale dans ses excès et sa solitude ? Comment peut-on également se plaindre qu’il soit impossible de ne pas voir Adam Sandler avec une perruque quand il joue la sœur, comme s’il fallait supprimer tout film avec un homme jouant une femme ? Et lorsque je lis que d’innombrables critiques et spectateurs déplorent à hauts cris que c’est prétendument d’une vulgarité totale, alors que les frères Farrelly et Judd Apatow font pareil, voire pire, mais ont la chance d’être tendance (au point que personne ne prendra le risque d’être considéré comme ringard en les critiquant), je suis consternée et dégoûtée par l’esprit moutonnier des gens. Je n’entends pas faire de ce film un nouveau Citizen Kane, mais, de grâce, pourquoi un tel lynchage ?
Je suis la première surprise que mon point de vue soit aux antipodes de ce que le public et la presse semblent penser. Je pense que personne n’ose risquer de paraître ringard ou d’avoir mauvais goût en disant un peu de bien de ce film, voire beaucoup de bien comme je l’ai fait. Et je suppose donc que personne n’osera jamais publiquement dire du bien de Jack and Julie maintenant que le film est officiellement catégorisé « plus que nul ».
Je suis vraiment navrée pour Al que sa prise de risque dans une vraie comédie centrée sur son double fictif ait injustement reçu un tel accueil.
Point-info « Al parle français » : Al dit « Notre-Dame ».
Mises en abyme : entre Al jouant du Shakespeare sur scène, un spectateur dans la salle qui parle du Parrain à son sujet, et « Attica » et « Ouh-ah » dans les paroles de ce qu’il chante à la fin (références à Un après-midi de chien et Le Temps d’un week-end), ça fourmille de mises en abyme, et c’est amusant.