2004 Le Marchand de Venise (The Merchant of Venice)

Pour qui adore la langue de Shakespeare et la Venise du XVIe siècle, ce film est un joyau, un sans-faute absolu : tout le monde y joue parfaitement bien, et de nombreux plans sont aussi beaux que des tableaux. Je ne peux trouver aucun défaut à ce film, et je suis donc étonnée qu’il soit si peu connu.

Très étonnée aussi qu’il ne soit jamais évoqué dans les livres et par les médias à propos d’Al, alors que Shakespeare est son dieu, et qu’interpréter enfin l’un de ses personnages à l’écran était donc un accomplissement notoire dans sa carrière et, je dirais même, dans sa vie personnelle. (Et, pour un spectateur attaché à Al, le voir jouer une pièce de Shakespeare in extenso — et non pas ultra-saucissonnée comme dans Looking for Richard — est très émouvant.)

Il est aussi incroyable que l’actrice Lynn Collins n’ait pas fait une grande carrière alors qu’elle joue si bien (et il me semble qu’être doué pour le théâtre shakespearien est automatiquement synonyme de grand talent, tant c’est une langue difficile).

Je découvre sur Wikipédia que le film n’a fait que vingt et un millions de dollars de bénéfices, pour un budget de trente millions, échec relatif qui peut expliquer pourquoi le film n’est pas passé à la postérité. On peut se demander s’il était raisonnable d’investir trente millions dans une adaptation littérale de Shakespeare, qui n’est pas l’idole des jeunes, loin s’en faut. Et en 2004, y avait-il encore assez d’adultes cultivés dans le monde pour aller voir un tel film en salle et que les producteurs rentrent dans leurs frais ?

Je découvre aussi que le réalisateur, Michael Bradford, a très peu tourné dans sa vie, ce qui est plus que surprenant au regard de ce film si bien maîtrisé, surtout sur le plan pictural.

Al est exceptionnel dans le rôle de Shylock, rôle pourtant si difficile puisque antipathique et soupçonné, depuis maintenant plusieurs décennies, de véhiculer de l’antisémitisme. En début de film, Al s’exprime de façon très calme, éteinte et triste, sans émotions. Puis, au fil du développement de l’intrigue, divers monologues laissent place à une rage nourrie de rancune et de souffrance extraordinairement jouée. Enfin, à la toute fin, Al exprime avec une immense sensibilité la déchéance de Shylock, dont la vie et le gagne-pain s’écroulent conjointement. Bref, une fois de plus, en regardant Al jouer, on est au spectacle, son jeu est tellement riche, varié, puissant, surprenant…