1999 L’Enfer du dimanche (Any Given Sunday)

Je pense n’avoir jamais été confrontée à un film aussi bruyant, lourdingue et cacophonique. Endurer patiemment ces presque deux heures et demie a été un sacrifice à l’aune de ma motivation pour réaliser ce Marathon. Et le fait que le film soit ENTIÈREMENT consacré au football américain (sport auquel les Français ne comprennent rien et qui ne les intéresse pas, c’est notoire) démultiplie la corvée que représente le visionnage de ce film jusqu’au bout.

Les vingt premières minutes sont d’ailleurs uniquement un match, et, Oliver Stone n’étant pas précisément un disciple de Dreyer, nous avons droit à vingt minutes d’une totale bouillie : la caméra bouge en permanence, le montage est très haché (la plupart des plans ne durent qu’une seconde ou une demi-seconde, et ce traitement de choc est valable pour une bonne partie du film….), la violence du jeu et l’agressivité des disputes bourrées d’insultes sur le terrain et sur le banc de touche sont incessantes, le bruitage pour CHAQUE choc entre joueurs est outrancièrement bruyant (comme si une voiture enfonçait une porte de garage !), la musique est lourdingue et assourdissante (et, là encore, ça sera comme ça pendant tout le film, on appelle ça du « gros rock ricain qui tache », avec pas mal de rap aussi), et tout le monde hurle non-stop (joueurs, public, staff), Al le premier (le contraire eût été étonnant, crier a été l’une de ses marque de fabrique tout au long de sa carrière, ça s’appelle le Pacino blast), son visage sur la jaquette du DVD, la bouche démesurément grande ouverte en un hurlement silencieux, l’illustre très clairement.

Bref, il faut vraiment s’accrocher pour ne pas appuyer sur « stop ». Je comprends bien qu’Oliver Stone a voulu communiquer l’adrénaline et même la folie qui entourent ces matchs de haut niveau, et qu’il a mis le paquet pour ces vingt premières minutes, mais filmer à la truelle à ce point-là est indigeste et dur à supporter.

Passé cette épreuve de vingt minutes, des scènes en dehors du terrain arrivent enfin, mais, hélas, soit elles se passent encore entre joueurs (vestiaires, fêtes), et ce n’est qu’insultes, hurlements, obscénités, ralentis nombreux et ridicules, réalisation et montage frénétiques, soit ce sont des dialogues plus posés à propos (devinez quoi !)… de football américain ! Avec, parfois, de très brefs plans qui n’ont rien à voir avec la scène, ou de brefs plans filmés de façon grotesque (par exemple, la caméra qui filme soudain, pendant deux secondes, en diagonale, et sans raison). Au secours ! Je plains le héros qui a dû faire le montage épileptique, j’espère qu’il a été très bien payé et a pu prendre un an de vacances. (Ah, je vois qu’ils s’y sont mis à quatre, ça se comprend.)

Il m’a fallu attendre la 42e minute pour atteindre une oasis de répit : une musique proche de Moonlight Serenade, de Glenn Miller, Al dans une salle de bal, l’air seul et perdu, c’est beau et prometteur, mais ça ne dure que vingt-deux secondes, de 42 min 03 s à 42 min 25 s ! Vingt-deux secondes qui montrent à quel point Al aurait été fantastique dans un film du type Mort à Venise ou L’Arrangement, d’Elia Kazan…

Cette brève scène contient d’ailleurs une perle d’une demi-seconde : à 42 min 12 s, à un importun qui lui dit ce qu’il aurait dû faire (en tant que coach), Al balance un regard en coin, agacé et blasé, qui vaut bien un discours.

Une autre scène est un bienfaisant havre de paix : calme, belle photographie dans un intérieur sombre et avec des teintes chaudes, Al qui atteint un pic de déprime et de sentiment de solitude, Nina Simone qui chante Don’t explain, plan très étonnant sur le visage d’Al avec des larmes sur une joue, sur fond noir (c’est assez sublime, je dois dire), et, patatras, Stone met à côté de son visage un… ballon de foot (ancien, il me semble, donc pour être sûr de nous faire comprendre ce que l’on venait de deviner à l’instant, que la passion de ce coach de haut niveau pour le football américain lui venait de son père prématurément et tragiquement décédé durant la Deuxième Guerre mondiale) ; quelle faute de goût de gâcher un pur moment d’émotion… (moment d’autant plus précieux que l’on n’a jamais vu Al pleurer à l’écran, il me semble, en tout cas pas en aussi gros plan et à la limite du regard caméra).

J’ai eu souvent l’impression, en regardant ce film, que Stone était un sous-Scorsese, ou le Scorsese du pauvre, car les points communs sont assez nombreux (dont les morceaux de la bande-son), mais la maestria n’est que d’un côté. Un exemple assez extrême : au bout d’une heure et quart, on a droit à un long dialogue, (enfin) au calme, entre Al et le joueur-star (joué par Jamie Foxx). Ça aurait pu être pas mal du tout, un échange apaisé entre un vieux routier du football américain et un jeune chien fou se frottant aux prémices de la célébrité et à ses dangers, dans un lieu qui a été très bien choisi : le domicile du coach, avec de grands volumes, des couleurs sombres et douces, une vue magique sur la mer, et la photographie est belle. Mais Oliver Stone est incapable de filmer classiquement un dialogue, donc on se retrouve avec un saucissonnage épouvantable : le dialogue est sans arrêt mêlé à des scènes de Ben-Hur sur un téléviseur, des plans sur des nuages qui s’amoncellent et s’obscurcissent (attention, coup de klaxon de tonton Oliver, c’est un symbole…), des images d’un match de football, et même la surimpression du visage d’un joueur de foot sur des nuages ! Il faut penser un seul instant à l’élégance, la densité et l’économie de moyens qu’aurait apporté Scorsese, tout simplement, pour ce dialogue à huis clos.

D’Oliver Stone, j’avais déjà détesté Wall Street : l'argent ne dort jamais : tant de discussions de yuppies au sujet de stock options, tant de réunions interminables entre grands patrons sans foi ni loi, tant de surimpressions d'écrans (le film est sorti en 2010, alors que l’on jurerait un film du début des années 2000 voulant faire moderne), Michael Douglas n'arrêtant pas de bouger les épaules pour ne pas être totalement immobile en parlant (c'est tellement voyant et simpliste, rendez-nous Kirk !! un génie), Carey Mulligan perpétuellement les yeux mouillés... Même Shia LaBeouf était très décevant : certainement très impliqué et concentré dans son rôle, mais, selon ma théorie, encore très anxieux, à cette époque, de faire un faux-pas dans sa carrière (cf. sa charge mentale de devoir être le soutien de famille pour ses parents depuis son adolescence), donc très lisse, et son charisme naturel en a pâti dans ce film, il faisait vraiment gendre idéal gentil et sans aspérités, assez ennuyeux.

Un rare aspect réussi de ce film, pour ne pas dire le seul, est les seconds rôles, bien campés et bien joués par Dennis Quaid, James Woods, Matthew Modine, Jamie Foxx, et même Cameron Diaz : dans un premier temps, j’ai trouvé qu’elle faisait bien trop jeune pour être le moins du monde crédible en propriétaire d’un club de football, et que sa beauté extrême avait plus l’air d’être un argument pour attirer les spectateurs dans les salles ; en fait, j’ai fini par admettre que, après tout, un personnage peut très bien avoir hérité d’un club par son père — c’est le cas dans le scénario —, s’y intéresser suffisamment pour en faire son métier, et être très jolie. De plus, elle joue bien son rôle.

Je dois dire que le casting pour deux seconds rôles est le fruit d’une idée plus que lumineuse : primo, Ann-Margret (parfaite en mère de Cameron Diaz, puisqu’elles ont un certain air de ressemblance), qui n’a pas eu une grande carrière alors qu’elle chante et danse divinement bien en plus de jouer très correctement, et qui est enveloppée d’une aura iconique car « grand amour impossible » de l’icône absolue, Elvis ; secundo, Charlton Heston, présent dans plusieurs extraits de Ben-Hur sur le téléviseur du personnage d’Al, puis (idée superbe et émouvante) dans un court rôle en fin de film (quarante ans après la sortie de Ben-Hur), rôle-prétexte car ce qu’il apporte à l’intrigue ne sera pas développé, mais qu’il joue de toute sa superbe et de sa classe naturelle de patricien.

(Parenthèse à propos d’Ann-Margret : il est à la fois déroutant et rafraîchissant de voir à l’écran une actrice de 58 ans et qui fait ses 58 ans (volumes du visage creusés, ridules), car c’était avant que les actrices ne prennent l’habitude de faire faire des retouches à leur visage — généralement très bien faites, au demeurant — ; ça laisse songeur.)

C’est très, très rare dans le cadre de ce Marathon, mais, cette fois-ci, j’ai eu du mal à m’intéresser à ce que faisait Al à l’écran et à être (encore et toujours) surprise par lui : autant son aisance à insuffler une autorité naturelle à ses personnages est un atout dans beaucoup de ses films (dans Le Parrain II, ça confine au génie d’acteur), a fortiori en prenant de l’âge, autant le voir (dans ce film-ci) être presque tout le temps dans l’autorité avec les joueurs (il en faut, certes, pour se faire respecter de colosses à fort tempérament) n’a pas trop d’intérêt, beaucoup d’autres acteurs auraient pu le faire.

(Seule petite étincelle : l’entendre beugler « All e ye », c’est à dire « All of you » avec l’accent du Bronx, c’est mignon.).

De plus, son côté las, fatigué et célibataire endurci dans ce rôle est très proche de ce qu’il fera dans les années suivantes (Insomnia, Influences…), donc pas d’effet de surprise. J’ai un peu le sentiment qu’il s’est contenté, à partir de cette période, de reproduire ce schéma de personnage et d’interprétation, alors qu’il n’avait que tout juste soixante ans. Je dirais même que le fait qu’il avait désormais une voix rocailleuse de baroudeur revenu de tout (j’ai vu qu’il existe sur Internet des discussions entre internautes pour comprendre pourquoi il a assez soudainement changé de voix) et un physique vieilli (comme je l’ai dit ici et là dans ce Marathon, passé ses quarante ans, Al a toujours fait cinq-six ans de plus que son âge) l’a enfermé, aux yeux des producteurs, dans un seul et unique type de personnage, alors que, quand on regarde ce qui était à l’affiche ces années-là, il aurait pu avoir des rôles surprenants et bien plus créatifs chez James Gray, Tim Burton, Paul Thomas Anderson, les frères Coen, David Lynch, Wes Anderson… Pourquoi n’ont-ils pas souhaité lui écrire quelque chose ?? Al avait-il alors la réputation de demander un cachet trop élevé, ce qui a pu saper les velléités des uns et des autres ??

Mise en abyme : à la 47e minute, voir Al avec un très gros cigare dans la bouche fait irrésistiblement penser à Scarface, dont Olivier Stone a écrit le scénario… Hasard ou clin d’œil ?

Point-info « Al parle français » : il dit « au revoir » dans les toutes dernières secondes.

Nota bene : comme mentionné dans le chapitre Introduction, c’est dans ce film que l’on peut le plus voir Al avec les yeux verts, et même vert clair. C’est relativement mystérieux. Est-ce que sa maladie oculaire (la dystrophie de Fuchs, j’en parle dans le chapitre sur son autobiographie) a pu éclaircir ses yeux au fil des décennies ? Est-ce que, tout en ayant les yeux plus verts qu’on ne le croit (c’est visible dans d’autres films, et dès Serpico), il a mis des lentilles vert clair pour ce rôle ?