1995 Heat
C’est mon 17e film avec Al en moins de deux mois, et le premier gros couac pour moi… Le film comporte, certes, des plans virtuoses et possède un suspense assez remarquable, mais (contrairement aux innombrables aficionados du film, je suppose) je n’ai guère été sensible à l’image très sombre, ou parfois bleutée, qui est très souvent présente, et je suis étonnée et agacée (mais devrais-je l’être encore, après tant d’années à m’énerver au sujet de certains films ?) qu’une œuvre aussi réputée et célébrée (et même culte) soit si bourrée de clichés, d’invraisemblances et de dialogues à la fois surécrits et creux.
Exemple : dès les premières minutes, on nous fait bien comprendre que l’adolescente est perturbée (et Natalie Portman joue comme tous les enfants acteurs professionnels, c’est tellement anti-naturel et forcé), et l’objet de la perturbation à ce moment M est… les barrettes bleues qu’elle cherche ; je suis désolée, mais devoir m’intéresser tout un tas de secondes à une histoire de barrettes, ça signe déjà le non-grand film.
Autre exemple (et ce sera la seule invraisemblance que je citerai, pour ne rien spoiler) : lors de la scène de fusillade XXL après le hold-up, les trois principaux protagonistes auraient pu être tués quarante fois, vu le déluge de balles (et c’est plutôt de l’arme lourde), mais non, ils sont manifestement équipés d’une tenue pare-balles invisible (seul Val Kilmer finit par être touché à l’épaule, et encore, on le voit conduire comme si de rien n’était une poignée d’heures plus tard…).
Autre exemple : lorsqu’Al revient au restaurant d’où il avait dû partir en urgence, sa femme est toujours là, et l’on nous sert un dialogue tellement artificiel pour nous signifier qu’elle le voit trop peu et que leur couple se délite. Primo, filmer de loin la femme toute seule (ce qui est d’abord fait, pendant quelques secondes, et c’est un magnifique plan) puis eux deux de loin et seuls aurait valu tous les dialogues du monde pour montrer la solitude et le sentiment de délaissement de cette femme (au lieu de cela, Michael Mann les filme banalement de façon assez rapprochée), et un dialogue un peu plus naturel aurait été le bienvenu.
Autre exemple : après la découverte du corps d’une jeune femme assassinée, sa mère franchit le cordon de sécurité et est arrêtée par le personnage d’Al, quasi bouleversé, qui la prend dans ses bras, et en avant la musique grandiloquente, le tournoiement des deux personnages sur eux-mêmes, et un long gros plan sur le visage ému d’Al. PROBLÈME : tout ce tralala aurait été justifié si la défunte ou la mère avait été l’un des principaux protagonistes, ou si c’était le énième assassinat (commis par une seule et même personne) que le personnage d’Al, mortifié, n’avait pu arrêter. Mais il s’agit d’une morte quasi anonyme et d’une mère encore plus anonyme, et ce crime semble être lié à une enquête dont le spectateur n’a pour le moment pas entendu parler. Le côté mélo de cette scène est donc tout à fait décalé et hors de propos : je suppose que le réalisateur a voulu nous montrer que, derrière sa faconde, ses muscles et ses coups de gueule, le lieutenant Vincent Hanna a aussi un petit cœur qui bat et est réceptif aux intenses douleurs des autres, et peut-être aussi nous faire deviner que cet homme a choisi cette voie professionnelle aussi à cause de cela, à cause de son empathie. Soit, intention louable, mais comme cette facette-là est évoquée de façon complètement isolée, abrupte et très brève (une minute et dix secondes sur 2 heures 45) dans la caractérisation du personnage, ce n’est ni naturel, ni convaincant...
Pire encore : pour la première fois en dix-sept films d’affilée, je trouve mon cher Al irritant… Son rôle d’über-mâle, limite roquet, Monsieur J’ai-réponse-à-tout, pétant les plombs sans que l’on puisse comprendre pourquoi (est-il soudain particulièrement nerveux ? Fait-il la comédie pour s’imposer et déstabiliser ? C’est illisible), est passablement ringard, agaçant et sans nuance. Surtout si l’on fait la comparaison avec son rôle assez proche dans L’Impasse deux ans plus tôt (il n’y a même que dix-sept mois d’écart entre la fin du tournage de L’Impasse et le début du tournage de Heat, alors qu’Al est absolument dissemblable physiquement dans les deux films…) : autorité naturelle, attitude de leader sans en rajouter, masculinité très soulignée, MAIS tout cela avec beaucoup plus de nuance et d’intelligence.
Je découvrirai plus tard qu’Al a fortement déploré, après la sortie du film, la suppression d’une scène le montrant en train de consommer de la cocaïne, car il estime que ça aurait fortement renseigné le spectateur sur son personnage. OUI, cent fois oui : si je l’avais vu consommant de la cocaïne, même une seule fois, même très brièvement, sa surexcitation dans certaines scènes aurait eu un sens et se serait fondue utilement dans la caractérisation du personnage. Qui a eu la mauvaise idée de supprimer cette scène au montage ?!!
Du reste, ces scènes où Al explose me paraissent bien moins touchantes, poignantes et sincères que celle — célèbre — dans Serpico, où (dans un rôle de policier là aussi) il s’acharne sur un suspect et hurle sur ses collègues ; dans Heat, ce sont plus, pour moi, des performances d’acteur, où il pousse les manettes le plus loin possible.
Par ailleurs, autre bémol, il est significatif que, pour la première fois en dix-sept films, je trouve que son couple à l’écran n’est pas crédible, ni touchant. Sur le papier, c’est pourtant une excellente idée, selon moi, de mettre le personnage d’Al (110 % masculin) avec une belle femme assez masculine dans l’attitude et à la voix toujours très posée, presque monocorde (et le fait que l’actrice n’a pas de hanches féminines et a une coupe de cheveux très courte, à la Louise Brooks, va très bien avec cela), là où tant de réalisateurs auraient mis une actrice très féminine (par exemple, de nos jours, Eva Mendes) et avec une voix acidulée pour contrebalancer la masculinité ultra-soulignée d’Al dans ce film. Mais ça ne prend jamais vraiment : je vois deux acteurs professionnels jouer un couple, point.
Quand j’ai vu, par la suite, Avec les compliments de l’auteur, Tuesday Weld m’a beaucoup fait penser à l’actrice de ce film-ci, Diane Venora (hormis les cheveux, en tous points dissemblables) : traits extrêmement bien dessinés, fins et jolis, yeux ressemblants, jeu d’actrice basique et solide, très peu d’imagination dans le jeu. Je me plais à rêver à ce qu’aurait pu apporter Meryl Streep dans ce rôle d’épouse dans Heat.
(Mais je tire mon chapeau à Michael Mann pour la courte scène de sexe de ce couple : très délicate — on n’aperçoit que leurs visages et un peu leurs bras —, épurée, à la fois pudique pour le public et tendre et passionnée pour les deux personnages, c’est une très belle réussite, un bijou, qui montre que c’est possible de ne pas prendre les spectateurs en otage dans ce domaine-là.)
L’ironie de l’histoire est que, alors que De Niro a toujours eu mon admiration (pour nombre de ses films) mais sans plus (il ne faisait pas partie de cette armada de mes acteurs favoris — comme expliqué dans mon introduction à ce Marathon — avant de découvrir Al), c’est son personnage (et non pas celui d’Al) qui est le seul point que j’ai beaucoup aimé dans le film… Sa rigueur, sa sobriété, son intelligence, sa retenue, sa concentration, son intériorité, son sérieux, sa dignité, et le couple magnifique qu’il forme avec la jeune libraire (EUX ont une superbe alchimie en tant que couple de cinéma, en dépit d’une grande différence d’âge, et la comédienne est tellement charmante et inspirante) m’ont plu de la première à la dernière seconde. De Niro est admirable dans ce rôle… Une grande création.
Une autre incongruité est que Michael Mann a voulu délibérément (il ne s’en cache pas le moins du monde) ne pas filmer Al et De Niro ensemble, optant pour une longue série de champs-contrechamps (alors que, je m’en souviens très bien, les médias nous ont rebattu les oreilles, au moment de la sortie du film, à propos du fait que l’on voyait les deux stars dans une seule et unique scène tout à la fin…) : pourquoi ce choix ?? Je trouve ça extraordinairement pervers ; des millions de spectateurs auraient adoré les voir tous les deux sur une même image, et le réalisateur les en empêche pour toujours. Je trouve ça incompréhensible et, je le répète, pervers.
Petite idée qui m’est venue à l’esprit quelques mois plus tard : j’aurais adoré voir les deux stars inverser leurs rôles… De Niro jouant le policier grande gueule aurait pu être très intéressant (et effrayant) quand on le connaît dans les films de Scorsese, et Al dans le rôle du truand placide, solitaire et concentré aurait été fantastique… Oui, je me dis vraiment que le film aurait été mieux ainsi.
Point-info « Al parle français » : il dit « bon voyage » (ce qui m’a fait immédiatement penser au « bon voyage » que dit Chris Sarandon à Al dans Un après-midi de chien, dans le célébrissime appel téléphonique entre Sonny et Leon).
Mise en abyme : j’ai adoré le fait que le personnage d’Al cite le nom de la ville de Newark à un moment. En effet, Newark est la ville natale du personnage masculin de Bobby Deerfield, et ce nom est évoqué plusieurs fois, sur un mode comique, aussi bien par Al que par Marthe Keller dans le film éponyme. Je me demande si Al n’a pas eu un pincement au cœur en citant ce nom, tellement lié à ce tournage où lui et Marthe Keller sont tombés si amoureux.