De gauche à droite : Jean Paul Gaultier, Madonna, Al, Warren Beatty

1991 In bed with Madonna (Madonna : truth or dare) (documentaire)

Bon… C’est vraiment pour la cause de ce Marathon Pacino que je me suis forcée à regarder ce film, n’ayant jamais eu une once d’intérêt et d’admiration pour Madonna, sa carrière et ses chansons.

Je découvre qu’il s’agit juste d’un film embedded with Madonna, on la suit partout, donc zéro intérêt pour moi. Voir en tout début de générique le lion rugissant de la MGM, emblème de tant de chefs-d’œuvre, et, sur la jaquette, le nom jadis prestigieux du producteur Dino de Laurentiis (« Dino de Laurentiis Communications », ce qui change tout…) démontre sur-le-champ à quel point elle a voulu, avec ce film, se construire un autel à sa propre gloire, c’est irritant.

Bon, parlons tout de suite d’Al. Il apparaît en tout et pour tout… trois secondes : à la 24e minute, les 41e, 42e et 43e secondes. On le voit, dans les coulisses après un concert, se lever pour serrer la main à Jean Paul Gaultier, lequel lui dit « Hello, hi » (mignon) tandis qu’Al semble lui dire « Nice to meet you », avec une attitude courtoise et un sourire. Question : comment une apparition de trois secondes dans un coin de l’écran peut-elle faire figurer un documentaire autopromotionnel dans la filmographie officielle d’un acteur ? Il va de soi que cela devrait rester une anecdote dans une autre section de la page Wikipédia de l’acteur, par exemple sa biographie. Ou bien Wikipédia devrait noter « apparition de trois secondes » sur cette ligne dans la filmographie.

Ayant regardé le film jusqu’au bout au cas où Al serait réapparu, je donne mon avis in extenso, au cas où ça pourrait intéresser quelqu’un sur cette terre.

En fait, bien que je sache depuis toujours que Madonna a tout fait pour créer sa célébrité à la force du poignet, ce film me fait découvrir que c’est pire que ça : tout, dans ce film, montre son acharnement à être connue et le rester. Il n’y a absolument pas le naturel et la grâce avec lesquels Elvis et les Beatles sont devenus des demi-dieux grâce à leur talent : oui, ils avaient un management carriériste derrière eux (le « colonel » Parker et Brian Epstein), mais ils ne cherchaient pas à briller, ils voulaient juste vivre leur passion, c’est-à-dire la musique… D’ailleurs, contrairement à Madonna, les Beatles ont rapidement fait en sorte de rejeter cette gloire disproportionnée et encombrante, et Elvis en a été une éclatante victime, enfermée dans une prison dorée pour laquelle il n’était pas fait (personne ne l’est, de toute façon) et qui a précipité sa déchéance et sa mort.

Dès le tout début, on voit démarrer de façon évidente la vaste entreprise de manipulation qu’est ce film. Dans la première séquence, il saute aux yeux que Madonna a demandé à être filmée de façon à évoquer Marilyn : voix off parlant de ses états d’âme (je suppose donc qu’à l’époque où ça a été tourné, on connaissait déjà les interviews et entretiens audio de Marilyn) et similitude physique très forte (voulue, recherchée et entretenue par Madonna dans ces années-là). Désolée, mais ça sonne tellement fabriqué, alors que, lorsque Marilyn parlait, c’était en toute franchise, son évocation de sa fragilité, de son désarroi et de ses rêves était sincère.

Aussitôt après, les minutes du générique sont également manipulatrices ou bien pathétiques : séquence « Madonna veut montrer son caractère de chef », séquence « blagues grasses et inintéressantes entre une coiffeuse et une danseuse », séquence « Madonna montrant toute sa classe naturelle avec son langage vulgaire ou obscène ».

De là, le show démarre. Incroyable : Madonna se tenant sans cesse le sexe, mimant deux fois un rapport sexuel et une fois une masturbation, chantant parfaitement dans son casque-micro alors qu’elle danse frénétiquement (est-ce que je me trompe en voyant là du play-back ? Par la suite, elle aura aussi une voix parfaite tout en étant recroquevillée, pliée en deux, puis allongée sur le dos sur un lit, la tête à l’envers car basculant très en arrière). En outre, la chanson est totalement insipide (selon moi).

C’est vraiment pour que le Marathon soit complet que j’accepte de subir ça. Seule petite source d’intérêt, pour ne pas m’ennuyer complètement en regardant le DVD : son corps est incroyablement affuté, et elle a une impressionnante énergie et tension dans chacun de ses gestes…. Ses deux danseuses, pourtant minces et professionnelles, paraissent rondes et molles en comparaison, et il me vient rapidement à l’esprit qu’elles ont probablement été choisies justement pour mettre Madonna en valeur, pour qu’une danseuse juste derrière elle ne lui fasse pas de l’ombre (une manipulation de plus).

Le reste du film est à l’avenant, sachant qu’il est de toute façon très compliqué pour quiconque d’être vraiment naturel en étant filmé pendant des mois, donc, dans un cas aussi exacerbé que celui de Madonna, elle garde très manifestement et en permanence le contrôle de l’image qu’elle veut donner (et je n’ose imaginer jusqu’à quel point elle s’est impliquée dans le montage final et le final cut), donc ce qui est censé être authentique à l’écran sonne en fait toujours factice car voulu.

Je trouve aussi qu’elle surjoue son rôle maternel pour ses danseurs ; tel qu’elle en parle, ça paraît essentiellement une pose et, surtout, un moyen de se mettre en position dominante par rapport à eux, voire de les infantiliser (quand on est « la mère » et que les autres sont « les enfants », on les domine, CQFD). Mais le fait qu’elle ait vécu le traumatisme de perdre sa mère toute petite et qu’elle soit devenue une mère de famille nombreuse très aimante (alors que, plus logiquement, son égocentrisme manifeste aurait pu l’empêcher d’avoir la moindre envie d’avoir des enfants) empêche de pouvoir avoir des certitudes sur le sujet.

Tous ces moments pénibles sont vraiment dommage, car certaines choses assez fugaces montrent quel aurait pu être ce documentaire si elle avait accepté de bien plus montrer ses fragilités : il s’agit de tout ce qui concerne son père…

Cela commence par une première séquence qui sonne tout de suite plus vraie que tout ce que l’on a vu précédemment : alors qu’elle est au téléphone avec son père, on entend ce dernier montrer sa réticence à aller la voir en concert si c’est osé. C’est comme un grain de sable dans une machine très bien huilée : Madonna la provocatrice hypersexualisée a donc un papa pudique et non pas un père soixante-huitard ?

Un cran au-dessus : lorsque, peu après, on voit le père (présenté sur scène par sa fille puis backstage) et l’épouse de celui-ci, c’est tout bonnement stupéfiant, ils font tellement M. et Mme Tout-le-monde physiquement, et sont posés, calmes, gentils, discrets… à des années-lumière du monde de leur fille et belle-fille et de sa personnalité ! Cette séquence est particulièrement forte et émouvante : clairement, pour une fois, Madonna ne contrôle pas complètement ce qui se passe, car ça concerne son père, et, soudain, on ne la voit plus comme la femme forte qu’elle a voulu être aux yeux du monde mais la fille de son père, avec son amour et son respect pour lui. Que le père soit aussi classe naturellement (belle voix tranquille, costume et cravate, mais sans être endimanché) est aussi très touchant.

Le moment où lui et son épouse disent, de façon très succincte et douce, qu’il y a eu certaines séquences gênantes pendant le concert (c’est le moins que l’on puisse dire) est extraordinaire : voir celle qui était alors la plus grande star du moment se faire légèrement sermonner par son papa et sa belle-mère, c’est vraiment drôle, touchant et inattendu à la fois. Ça a un parfum de vérité, de vraie vie.

Deuxième surprise dans ce passage : alors que Madonna montre dans toutes les autres séquences qu’elle contrôle chaque parcelle de son corps (volonté de fer et musculation adéquate), son langage corporel n’est pas du tout maîtrisé quand elle est avec son père sur scène, elle est brutale dans ses gestes et lui parle sans le regarder dans les yeux (et je ne pense pas qu’elle maîtrise sa com’ au point de jouer ça, je pense qu’elle est sincèrement dans ses petits souliers de montrer au public l’homme qui a tellement compté pour elle depuis sa naissance, et c’est peu dire que ça la rend enfin très humaine et attachante).

Cela révèle en creux à quel point, comme elle le dit d’une autre façon au public ce soir-là, son père a une importance incommensurable pour elle. C’est clairement la vraie Madonna Louise Ciccone que l’on a sous les yeux à ce moment-là.

Tertio, cette belle et étonnante séquence (moment de fraîcheur dans un film à sa gloire) m’amène à regarder sa page Wikipédia : comme tout le monde, je savais qu’elle avait perdu sa mère très jeune, mais je découvre, de façon très précise et choquante, que cette maman est morte à seulement 30 ans après avoir eu six enfants en six ans… Comment quelque chose d’aussi injuste est-il possible ? Comment un père de six très jeunes enfants peut-il se retrouver veuf à trente-deux ans ? C’est un mystère. Et, à l’inverse, le mystère de la personnalité hors du commun de Madonna réside probablement là : après une telle déchirure (et bien qu’elle ait eu — dès ses huit ans et jusqu’à aujourd’hui, 2023 ! — la même belle-mère et la stabilité que cela induit), elle s’est clairement créé une carapace et une volonté de fer pour ne plus souffrir autant et (même si ça sonne comme un cliché) prendre une revanche sur la vie.

La mort prématurée de cette maman éclaire aussi ce penchant dont elle parle en début de film (j’ai pu avoir l’impression que c’était surjoué) pour un sentiment maternel qu’elle a facilement (et les multiples adoptions qu’elle a faites par la suite vont dans ce sens) ; quand on perd sa mère à cinq ans et que l’on porte le même prénom qu’elle (le prénom de « Madone », si lourd de sens, la Madone étant la mère spirituelle de tous les êtres humains pour les catholiques), le sentiment maternel, par la suite, peut probablement être ou rejeté, ou très présent, voire exacerbé.

J’ajoute que, après tous les mauvais moments du début, le film a par la suite un rythme de croisière pas inintéressant, et, surtout, Madonna devient assez attachante, même pour une réfractaire de toujours comme moi : son visage et son corps tellement émaciés et bien dessinés, sa féminité tellement intense, sa forte personnalité et son bagout finissent par en faire un vrai personnage en plus d’être une vraie personne. D’ailleurs, à un moment, elle dit, en passant (en voix off), une phrase éminemment intéressante : « On dit souvent que la célébrité change les gens, mais on ne dit jamais qu’elle change aussi leur entourage. » C’est dit l’air de rien, mais c’est très juste, et ça montre bien sa lucidité en tant qu’être humain derrière son statut d’icône mondiale. Ça me fait penser à une anecdote inoubliable dans le livre Anthology sur les Beatles : Ringo Starr explique qu’un jour où il rentrait de tournée (au tout début de la Beatlemania) et prenait un café avec sa famille (oncles, tantes, cousins, etc.), tout le monde s’était rué pour changer sa soucoupe après qu’il eut renversé un peu de café dedans, alors que personne ne s’en serait aperçu autrefois. Il s’était dit : « Oh, oh, quelque chose a basculé. »

On devine rapidement que Madonna ne pouvait que devenir une star : traits tellement fins et bien dessinés, corps de poupée, chantant juste, très belle voix, excellente danseuse, effrontée et provocatrice, avec une énergie et une détermination hors norme… Elle cochait toutes les cases et sortait du lot.

Par ailleurs, de deux scènes qui pourraient être cliché émane une belle mélancolie : d’une part, quand elle est seule dans une chambre d’hôtel luxueuse et que l’on entend en voix off un quasi-brouillard de différentes interviews de proches à son sujet (une belle idée de mise en scène, enfin) ; d’autre part, la séquence (qui pourrait être trop mélo, voire impudique, à mon avis plus d’un spectateur a dû se dire que ça se voulait exagérément tire-larmes) de sa visite de la tombe de sa mère est d’une grande grâce (d’autant plus que l’on nous fait savoir qu’elle n’y était pas allée depuis de nombreuses années) : à ce moment-là, on peut se douter qu’elle ne fait pas cela pour attendrir le public, mais parce que cette perte-là, cette pièce du puzzle fait partir de son histoire de façon viscérale, traumatique, essentielle. Voir son frère, qui n’avait que trois ans lors du décès, choisir de rester à distance, debout, comme s’il voulait rester à distance du traumatisme, est une image très délicate.

Dernier point intéressant : il est très déroutant de voir Warren Beatty — son compagnon à l’époque — extrêmement mal à l’aise d’être filmé backstage (puis en privé), ne sachant comment se comporter. De la part d’un acteur-star, réalisateur acclamé, très beau gosse officiel, séducteur compulsif de centaines de femmes (paraît-il) et de moult magnifiques stars féminines, c’est a priori incompréhensible. Mon hypothèse est qu’il a du mal à être naturel et sûr de lui devant elle (ou, surtout, avec elle devant des témoins et une caméra), affadi par son tempérament dominateur, séducteur, totalement à l’aise et décomplexé, qui le relègue, lui et ses vingt et un ans de plus qu’elle, au rang de papy (de boomer, on dirait aujourd’hui).

Voilà, In bed with Madonna, c’est à la fois un festival de propos et gestes vulgaires, de chansons vraiment mauvaises, avec une troupe de danseurs puérils, un titre putassier et trompeur, un film d’autopromotion produit par la star elle-même, d’où émergent cependant, ici et là, des moments délicats, nous laissant regretter ce qu’aurait pu être ce film avec beaucoup de décisions différentes et, par exemple, Wim Wenders derrière la caméra.