1990 Dick Tracy

J’ai commencé ce film à contrecœur : depuis sa sortie il y a plus de trente ans, ses couleurs criardes et kitsch, sa dimension « bande dessinée vivante pour les Américains » (qui connaissent cette BD depuis leur enfance, contrairement à nous, Français, donc pas de madeleine de Proust pour nous) et ses nombreux acteurs grimés jusqu’à une laideur extrême m’avaient toujours repoussée…

Finalement, bien que tous ces a priori se révèlent bel et bien exacts, c’est quand même un film très regardable et divertissant, avec ses incessants rebondissements plus tonitruants les uns que les autres. Le film a aussi et surtout trois grands mérites : il ne ressemble à aucun autre film dans l’histoire du cinéma (ce qui, on peut en convenir, est rare…), certains plans d’ensemble sont magnifiques tout en étant absolument irréels, de vrais tableaux (on voit de loin, en tout petit, des protagonistes dans un IMMENSE décor urbain artificiel, c’est proche de l’onirisme, et je ne comprends absolument pas comment certaines de ces scènes ont été faites, à cette époque pré-digitale), et, enfin, le travail colossal sur les décors de carton-pâte et les couleurs (décors et costumes) forcent le respect. L’ensemble est incroyablement gonflé, je n’ose imaginer la détermination en acier qu’il a fallu à Warren Beatty pour réussir à convaincre des producteurs de financer cet ovni pas loin du mauvais goût à bien des moments… Cerise sur le gâteau, la mélodie symphonique qui revient à plusieurs moments et qui fait penser à Rhapsody in blue est tout simplement sublime.

Le film comporte tout de même deux points faibles : d’abord, comme il s’agit non seulement d’une BD portée à l’écran mais d’un pastiche de BD portée à l’écran, il est très difficile, voire impossible, d’être ému par qui et quoi que ce soit dans cet univers cartoonesque éminemment factice, même dans les séquences que Beatty a clairement voulu touchantes (séquences un peu lentes et longuettes, centrées sur le héros, sa petite amie et l’orphelin qu’ils ont recueilli), surtout que, autant Warren Beatty, réalisateur et acteur principal, n’a pas cherché, je trouve, à faire un film trop égocentriquement centré sur lui, autant, dans les gros plans sur son visage lorsqu’il cherche à émouvoir, il semble avoir systématiquement demandé à son monteur de couper le plus tard possible… C’est légèrement ennuyeux à chaque fois, et un peu trop manifestement narcissique…

L’autre point faible est Madonna, aussi gracieuse et cinégénique soit-elle dans ce film… On sait qu’elle a depuis toujours la réputation d’être une actrice très moyenne. De fait, ce qui m’a sauté aux yeux est qu’elle n’est pas naturelle, elle n’incarne jamais réellement le personnage et est passive dans son jeu (le contraste est saisissant avec les autres comédiens, tous parfaits, et en particulier avec Al, qui EST Big Boy Caprice à l’écran), elle s’applique, et je peux complètement percevoir son appréhension de mal faire… Donc le contraire de la définition d’une grande actrice. Sa prestation (pas nullissime pour autant) démontre, si besoin est, que l’on peut être filmée dans des clips et être scrutée par des dizaines de milliers de gens sur une scène en concert sans être une actrice… Dommage, car l’idée de faire de cette petite amie de truands une fille triste et douce était une excellente idée.

Et Al ? me direz-vous… Je suis partagée. Il compose là un méchant inoubliable par sa violence verbale, sa cruauté, sa bêtise mâtinée de profond savoir-faire pour ce qui concerne le crime organisé, son autorité naturelle, ses mimiques répugnantes. Un rôle excessif qui sied à la démesure d’Al. Ironie du sort, sa violence et son accent pour ce personnage sont très, très proches de sa prestation dans Scarface, ce qui donne parfois l’impression troublante que l’on voit un jumeau laid de Tony Montana… Mais son rôle est desservi par l’extrême laideur que les maquilleurs et prothésistes lui ont donnée (c’est ce que j’appelle du gâchis !) et par le fait qu’il hurle trop souvent (ça finit par être lassant, mécanique et peu subtil).

Mise en abyme 1 : autour d’une table où se trouvent une vingtaine de truands, James Caaan joue un parrain qui refuse de prêter allégeance à Al, lequel a organisé cette réunion pour dire à tous qu’il veut devenir LE parrain… Difficile de faire un plus grand clin d’œil aux deux frères Corleone qu’ils ont incarnés presque vingt ans plus tôt…

Mise en abyme 2 : Al descend les marches d’un tribunal et déclame une citation de Jefferson : « A law without an order is a greater danger to the people than an order without a law. » Ça ressemble à un énorme clin d’œil à Al, une dizaine d’années plus tôt, dans les dernières minutes de Justice pour tous (la célèbre séquence avec « You’re out of order » lors d’un procès, puis Al finissant assis sur les marches du tribunal).