1985 Révolution (Revolution)
J’ai commencé ce film avec des sentiments mélangés. D’un côté, je savais pertinemment que le film a été un énorme échec commercial et n’était pas très bon (de plus, j’avais l’intuition qu’Al était tellement puissamment contemporain qu’un récit se passant au XVIIIe siècle ne lui conviendrait pas trop). D’un autre côté, j’avais très hâte de découvrir enfin le film qui a eu la malchance de passer à la postérité pour avoir entraîné un coup d’arrêt dans la carrière d’Al et avoir privé le monde de sa présence sur les écrans durant quatre ans, un irrattrapable trou béant pour les fans. (Néanmoins, Al n’a pas fait mystère que ce repos quasi forcé lui a fait du bien, lui permettant de prendre du repos et du temps pour lui, et de sortir quelque temps de la lumière de la célébrité XXL.)
J’ai vite compris quel était le problème du film : tous les ingrédients sont ratés, en particulier dans la première heure. (Coïncidence funèbre : je découvre que le réalisateur, dont la carrière et probablement la vie aussi ont été terriblement impactées par cet échec, est mort il y a tout juste un mois…) Pauline Kael, du New Yorker, célèbre pour ses avis très tranchés et souvent négatifs, a écrit au moment de la sortie : « Révolution est tellement mauvais que cela vous met en état de choc. » Sans aller jusque-là, je dirais que, effectivement, il n’y a presque rien à sauver.
La photographie : très mauvaise, le grain de l’image est grossier. Est-ce vraiment l’image d’origine ou bien est-ce que la seule copie disponible en VOD est défectueuse ? Quoi qu’il en soit, c’est très surprenant de voir une image si médiocre pour un film aussi ambitieux dans son récit et avec autant de moyens perceptibles à l’écran (décors et figurants). Pour ne rien arranger, certaines scènes font penser à Barry Lyndon et Tess, donc la comparaison sur le plan de la photographie est peu flatteuse pour Révolution.
Le montage : bien trop rapide, saccadé, mené au pas de charge, c’est invraisemblable que les producteurs aient validé cela. Durant les quarante-cinq premières minutes (ce qui est très, très long), les plans sur Al sont ultra-brefs, il n’y a aucune scène un peu longue permettant de connaître son personnage, de le comprendre, de s’attacher à lui. Question : à quoi sert de recruter l’un des plus grands acteurs au monde, alors au faîte de sa gloire, si c’est pour le montrer ici et là par tranches de trois secondes ? Il faut attendre presque quarante-cinq minutes (une éternité, donc) pour qu’il ait une scène un peu longue (quarante secondes ! Il faut vraiment savoir se contenter de ce que l’on trouve dans un tel ratage), scène muette en ce qui le concerne, mais suffisamment forte (puisque violente et humiliante) pour que son immense talent soit mis en valeur à travers son langage corporel et son visage.
Les acteurs : Al est complètement sous-employé ou mal employé durant tout le film, c’est très malheureux. C’est seulement à la toute fin de ce film de deux heures que l’action est centrée sur lui pendant huit merveilleuses minutes, où il fait passer avec maestria l’humiliation, la colère, le sentiment d’injustice, l’émotion, la pudeur, l’amour paternel, l’espoir, huit minutes où il devient enfin passionnant, tel que nous le connaissons. Il est d’ailleurs frappant que, sur la totalité du film, ce soit Donald Sutherland et non pas Al qui est remarquable, car, dans ses (trop rares) scènes, Sutherland a su camper avec trois fois rien un officier anglais plein de morgue et de cruauté, il a su se débrouiller pour créer un personnage fort. Il faut croire que le personnage d’Al était trop lisse et trop peu présent à l’écran.
Nastassja Kinski fait de son mieux pour apporter de la vie et de l’intensité à son personnage, mais comme elle ne fait qu’apparaître de temps en temps sans que l’on puisse la connaître réellement grâce à des scènes plus longues et intimistes, la voir toujours à fond dans son engouement pour la lutte pour l’Indépendance nous laisse de marbre, car on ne peut pas s’attacher au personnage, et paraît excessif, puisqu’on la voit toujours uniquement entre deux portes, si je puis dire.
Le pompon, c’est qu’on la voit dans plusieurs brèves scènes être déjà très attachée au héros et au fils de celui-ci sans que rien à l’écran ne le justifie (ils se sont côtoyés trois ou quatre fois quelques secondes seulement ! Du moins, c’est ce que l’on voit), et ce qui est censé être des retrouvailles quasi amoureuses au bout de presque une heure et demie sonne très creux et incompréhensible, puisque le spectateur n’a pas le sentiment qu’ils se connaissent particulièrement ! Pour que l’on soit touchés, ou tout au moins intéressés, il aurait fallu voir cet homme et cette femme vivre plusieurs choses ensemble et avoir des échanges. Il paraît donc évident que de nombreuses scènes devaient montrer la progression de leur lien et ont été coupées. Je comprends qu’il faille réduire la durée d’un film, mais comment peut-on le sortir sur les écrans si l’évolution de la relation entre les deux personnages principaux a été massacrée ?
La réalisation : elle aussi, très moyenne. Innombrables sont les plans où la caméra a juste à filmer, immobile, les troupes et où, pourtant, elle bouge légèrement, comme si le caméraman était un amateur… Innombrables sont les plans trop serrés sur des scènes de groupes et/ou d’action au lieu de plans plus larges, donc on ne voit qu’une partie de ce qui se passe, c’est étouffant et tellement réducteur. Ces incessantes erreurs sont d’autant plus étonnantes que certains plans d’ensemble dans la nature sont particulièrement beaux et même somptueux (en dépit de la photographie médiocre, donc c’est vraiment un tour de force).
Sur les vingt et un films avec Al que je viens de voir, ce n’est pas le premier que je n’ai pas envie de revoir tout de suite in extenso, mais il y en a plusieurs dont j’ai revu avec intérêt (plusieurs fois même) les meilleures séquences. Or, je ne veux même pas revoir de scènes de ce film-ci, puisque, à l’exception des deux scènes évoquées (au bout de quarante-cinq minutes, puis huit minutes avant la fin), aucune n’est réellement intéressante, et l’on ne voit pas tant que ça Al.
Même la scène potentiellement cruciale, de cinq minutes, où le fils, qui a été fouetté, est quasi agonisant et où le père est au paroxysme de l’angoisse n’est pas intéressante : c’est filmé de façon bien trop rapprochée, on ne voit qu’un bout du visage du fils à de nombreux moments, et il paraît presque gênant et ridicule de voir le père complètement craquer et secouer son fils comme une poupée de chiffon alors que le corps de celui-ci est meurtri et douloureux ; de plus, il n’y a aucun champ/contre-champ pour montrer ce qu’il y a autour (en l’occurrence, des Indiens dans une grotte) et nous donner un autre point de vue sur le fils dans les bras du père. Comment et pourquoi un réalisateur choisit-il de garder un seul et même plan durant cinq minutes en pensant que ça va intéresser le public, c’est un mystère pour moi.
Pourtant, aimant l’Histoire, je peux toujours trouver de l’intérêt à un film historique, mais, là, le matériau qui constitue le film présente trop de faiblesses pour que je m’intéresse au récit.
De plus, je dois reconnaître qu’Al n’est jamais complètement à sa place : son accent ne sonne (jusqu’à preuve du contraire) pas du tout XVIIIe siècle (a fortiori pour un personnage écossais), et la coloration de ses cheveux en marron clair (faite, manifestement, pour ce rôle, mais pourquoi ?!) fait artificielle du début à la fin. D’ailleurs, dans son livre d’entretiens au long cours avec Lawrence Grobel, Al est très franc : il dit avoir été épouvanté et choqué que le film soit si raté, il appelle cela un accident de carrière.
En ce qui me concerne, cette expérience (voir qu’Al n’était pas vraiment crédible en homme du XVIIIe siècle) m’a fait réaliser que, en dépit de son génie et de sa capacité de préparation en amont d’un tournage, Al n’aurait pas du tout eu la faculté de se fondre dans toutes les époques, contrairement à de nombreux acteurs de l’âge d’or d’Hollywood. Que Kirk Douglas soit habillé en cow-boy, avec la jupette de Spartacus ou en tenue de son époque, on y croit toujours. Que Stewart Granger joue un soldat de l’époque du Christ, un aventurier au fin fond de l’Afrique ou un gentilhomme du XIXe siècle, il est toujours crédible. Le constat vaut pour de nombreux autres acteurs (Robert Taylor, Gary Cooper, James Mason, etc.), ne serait-ce que parce que les westerns étaient un passage obligé pour tout acteur à cette époque, donc presque tous ont eu à être crédibles habillés en cow-boy et chevauchant un cheval.
Il est à noter quand même qu’Al est tout à fait crédible dans les années 40 et 50 des deux premiers Parrain, en 1938 dans Dick Tracy — mais il est tellement grimé et le film est tellement atypique que c’est un cas à part —, en 1933 dans Instant de bonheur — mais il est grimé en vieux monsieur et ne quitte pas sa chaise dans son jardin, donc c’est encore un cas à part —, en 1949 dans American Traitor, et dans les années 60 pour The Irishman, et que son seul autre film réellement d’époque est Le Marchand de Venise, où Al est tout à ait crédible en homme de la fin du XVIe siècle. Enfin, je me plais à rêvasser à ce qu’aurait pu donner Al en officier de la cour du tsar, valsant avec Faye Dunaway au son de la sublime valse des Fleurs du Casse-Noisette de Tchaïkovski, dans une féérique salle de bal.
Point-info « Al parle français » : il dit « un sergent anglais ».