1982 Avec les compliments de l’auteur (Author ! Author !)
J’ai commencé ce film avec une insondable curiosité, car il a totalement disparu des annales de l’histoire du cinéma et n’est strictement jamais évoqué dans tout article au sujet d’Al et sa carrière. Par conséquent, je me demandais en quoi un film avec une superstar de l’époque pouvait être assez mauvais pour mériter ce sort, et j’espérais secrètement avoir une bonne surprise, comme avec Bobby Deerfield.
J’ai très vite compris que le film était assez moyen, et un coup d’œil à la filmographie d’Arthur Hiller montre vite qu’il n’a jamais su dépasser le niveau des petites comédies de ce type, à part le drame romantique Love Story — qui, selon moi, a très, très mal vieilli — et Transamerica express, qui contient d’irrésistibles moments de grande folie, avec le génie comique qu’est Gene Wilder, mais aussi hélas un gros problème de tempo, et de la grivoiserie bien balourde.
Dans Avec les compliments de l’auteur, la mise en scène et l’ambiance new-yorkaise de cette époque-là font penser à un Kramer contre Kramer qui ne serait pas grave ou à un Tootsie qui ne serait pas drôle, il est dans l’intervalle, et c’est malheureusement un handicap tout au long du film. Il s’agit manifestement d’une comédie familiale et grand public (du moins, il faut espérer pour l’équipe que c’est cela qui était souhaité, et non pas un film plus ambitieux) ; on s’ennuie toujours un petit peu, la musique années 80 a terriblement vieilli, et l’on attend toujours plus ou moins que le film se termine, bien qu’Al joue merveilleusement bien, comme à son habitude : c’est un plaisir de voir et revoir toutes les nuances de son expressivité et toutes ses trouvailles quasi imperceptibles pour qui regarde distraitement. Je recommande à quiconque a aimé Al dans Un après-midi de chien et Justice pour tous de regarder ce film : son physique, son jeu et sa présence y sont très proches. De plus, le visage à la Caravage qu’il a dans ce film est un condensé de romanesque italien.
Le film pèche par plusieurs points faibles (et le fait qu’Al n’a pas caché le fait, par la suite, qu’il ne s’était pas entendu professionnellement avec le réalisateur confirme bien le problème) : premier point faible, le côté trop « sitcom années 80/90 » des cinq enfants acteurs, on s’attend à tout moment à entendre des rires préenregistrés (le jeune acteur qui joue le fils adolescent cabotine particulièrement, il est en roue libre, son jeu a terriblement vieilli, et, globalement, les scènes où les enfants parlent sont trop nombreuses et pas passionnantes). D’ailleurs, dans le puits d’informations qu’est le livre d’entretiens entre Al et Lawrence Grobel, Al analyse cela de façon très simple et perspicace : ce film aurait dû être destiné uniquement à une diffusion à la télévision.
Deuxième point faible, le manque de consistance du rôle de l’épouse qui quitte son mari (rôle qui, bien que peu présent à l’écran, est pourtant le pivot de tout le récit étant donné les conséquences qu’entraîne son départ du foyer) : ce n’est que tardivement dans le film que l’on peut à peu près comprendre les agissements incongrus de cette femme, et encore, sans qu’il y ait une grande épaisseur psychologique. En outre, le jeu assez scolaire et peu inventif de Tuesday Weld contribue à rendre son personnage lisse et peu intéressant, alors que le personnage d’Al est censé être très amoureux d’elle et beaucoup souffrir de son départ du domicile familial.
Troisième point faible, le visage de l’actrice Dyan Cannon est bien trop empêtré dans une épaisse chevelure longue et frisée, on voit trop peu ses traits et ses expressions, ça nuit infiniment à l’intérêt du spectateur pour son personnage, c’est une gigantesque erreur de la part du réalisateur (à titre de comparaison, dans le film Bob and Carol and Ted and Alice, ses cheveux sont vers l’arrière, et ça change tout !). Et le fait qu’il n’y a guère d’alchimie entre elle et Al à l’écran n’arrange rien. (Pourtant, fait isolé dans la filmographie d’Al, cette actrice a trois ans de plus que lui, ce qui aurait pu être un aspect très intéressant à développer dans ce couple à l’écran.) Je fulmine d’ailleurs à l’idée de ce qu’aurait pu être ce film si ce rôle féminin avait été joué par Julie Christie (compatibilité physique et érotique très élevée avec Al), Barbra Streisand (son énergie, sa drôlerie, ça aurait été un régal), Charlotte Rampling (Woody Allen a eu l’idée géniale de l’employer pour Stardust Memories dans ces mêmes années), Isabelle Adjani (elle aurait été parfaite, et évidemment bien meilleure actrice que Dyan Cannon), Jane Fonda (c’est d’ailleurs un gigantesque ratage qu’elle n’ait jamais tourné avec Al)…
Enfin, quatrième point faible, le scénario a beau avoir été écrit par un célèbre dramaturge, Israel Horowitz, deux scènes sont assez embarrassantes parce qu’elles sont particulièrement non crédibles, surtout qu’elles ne sont pas drôles, alors que je soupçonne qu’elles sont censées l’être.
Ce qui surnage, c’est la tendresse extrême, et de plus en plus attachante, du héros pour son fils et pour les quatre enfants de sa femme, sa solidité en tant que père et beau-père malgré ses soucis sentimentaux et professionnels (son aptitude à être un roc pour les cinq enfants est impressionnante, cela convient comme un gant à Al, ce qui est très inhabituel dans sa filmographie, d’autant plus — difficile de ne pas y penser — qu’il n’était pas encore père dans la vie), le caractère inédit et charmantissime du personnage d’Al dans sa carrière (un dramaturge new-yorkais, père et beau-père de cinq enfants, très gentil, accablé et assailli de difficultés personnelles, ça change de ses autres rôles, et c’est agréable), et le work in progress des répétions au théâtre, qui est le seul aspect amusant du film (mention spéciale à l’imprésario, joué excellement par Alan King, et qui fait tout au long du film penser à l’humour délirant des Producteurs de Mel Brooks). Et puis un film où l’on voit déambuler Al en slip bleu clair et chaussettes hautes noires ne peut pas être un mauvais film.
Si je réfléchis à la raison pour laquelle ce film assez sympathique et pas du tout exécrable a pu disparaître des radars à ce point malgré la présence d’Al dans le premier rôle, je pense que la réponse est dans la question : je crois que ni les critiques ni le public n’avaient envie de voir Al Pacino en papa poule gentil et dépassé par les événements, lui qui était taillé pour des rôles bigger than life. Un an plus tard seulement, Scarface (et un amaigrissement conséquent) viendra le prouver.
Paradoxe : ce film moyen, qui a un peu vieilli, qui, pour le commun des mortels, n’est pas spécialement à voir, qui n’est absolument pas à considérer comme immanquable, et qui peut très bien ne jamais être vu, doit absolument être vu par cette mystérieuse secte des fans d’Al, pour sa performance ultra-pacinienne et séduisante, pour la rareté d’un tel personnage dans sa carrière (intello new-yorkais père ou beau-père solo de cinq enfants), pour son charme atomique, et pour le fait qu’il est présent dans presque tous les plans. Bref, malgré les faiblesses du film et le fait que ce soit indéniablement une œuvre mineure, on peut même avoir très vite envie de le revoir, juste pour Al.
Point-info « Al parle français » : il dit d’une très charmante façon « debonaire », qui est complètement homophone avec notre « débonnaire », mais dont le sens (« élégant, attirant, sophistiqué ») est curieusement fort éloigné de celui du mot en français (« qui est bon et bienveillant jusqu’à la faiblesse »).
Mise en abyme : dans une remarque que le héros fait à ses enfants, il mentionne le nom de Newark, la ville natale du personnage principal de Bobby Deerfield, et qui est une source d’amusement et de gags à plusieurs moments dans le film éponyme.