1979 Justice pour tous (…And Justice for All)
C'est le onzième film avec Al que je vois, en un mois et demi, et c'est le premier que... je ne souhaite pas du tout revoir une deuxième fois dans la foulée (je le reverrai seulement quinze mois plus tard).
Le film est pourtant tout à fait honorable et coche beaucoup de cases : intéressant du début à la fin (c’est une plongée en immersion dans le quotidien des procès de très petite délinquance et dans la ruche qu'est un tribunal), perpétuellement bien construit et bien rythmé (les scènes ne sont ni trop courtes ni trop longues, c’est un sans-faute), photographie correcte (mais pas brillantissime, on est dans les années 1970), dialogues variés et bien faits (contrairement à dans tant de films où ils sont creux et sonnent faux), même s’ils tournent uniquement autour du thème de la justice et de ses rouages (sur deux heures, ça peut finir par lasser…), personnages secondaires très bien dessinés et reflétant la diversité des êtres humains (juge raide et plein de morgue joué à la perfection par John Forsythe, juge excentrique et truculent joué tout aussi parfaitement par Jack Warden, les collègues avocats, le grand-père en maison de retraite, qui perd la mémoire et qui est joué par Lee Strasberg — idée de casting ultra-émouvante pour qui connaît le rôle quasi paternel qu’il a eu dans les années 60 vis-à-vis d’Al (rôle que, en creux, Al semble minimiser dans son autobiographie parue en 2024) — et deux jeunes hommes en souffrance, en détention provisoire et qui attendent leur libération avec une impatience mêlée de grande vulnérabilité), idées originales, histoire d’amour inhabituelle sur grand écran car simple, pleine de respect et affectueuse (beau personnage de femme : elle aussi avocate, franche et avec du caractère mais gentille, et leurs rapports de force, liés au travail, sont sans réelle agressivité) (de plus, le fait que la comédienne, Christine Lahti, mesure dix centimètres de plus qu’Al crée un effet atypique, et leur couple à l’écran est l’un des plus intéressants dans la carrière d’Al).
Enfin, ultime qualité, le jeu d’Al (complètement crédible et attachant en avocat tout en douceur et conviction à la fois, aussi précis dans son travail qu’il peut paraître parfois détaché et presque rêveur) est comme toujours extrêmement inventif : les intonations de sa voix, les expressions de son visage, son langage corporel, c’est un festival, et tout le distingue des autres comédiens à l’écran.
Les deux séquences poignantes où il craque de façon spectaculaire (scènes apparemment bien connues du public américain : l’une dans un parking, où il fracasse un pare-brise, et l’autre au tribunal, avec son célèbre « You’re out of order ! » hurlé et postillonné) m'ont laissée relativement froide, je préfère quand il joue tout en finesse et en demi-teinte dans ce film, mais il est néanmoins excellent dans ces deux scènes. Et son élégance sans esbroufe tout au long du film (costume, cravate, gilet, et avec un manteau pour certaines scènes, le tout uniquement dans des teintes beiges et brun clair) est une facette pleine de charme.
Malgré tout cela, si je n’ai pas eu envie de le voir une deuxième fois dans la foulée, c’est que ce film se situe « seulement » dans les standards (fourchette haute) des films américains de cette décennie, j'ai par exemple pensé aux similitudes (esthétiques, pas thématiques) avec Marathon Man, Kramer contre Kramer, et Klute. C’est un très bon divertissement, riche et varié, mais il n’a pas la magie d’autres films avec Al dans ces années-là, et c’est ça qui le dessert. Également, la musique a terriblement mal vieilli (je vois pourtant que celui qui l’a signée, Dave Grusin, a fait la bande originale de deux autres films avec Al dans ces années-là, Bobby Deerfield et Avec les compliments de l’auteur, ainsi que plusieurs films avec Sidney Lumet), ceux qui sont assez âgés pour avoir connu La Croisière s’amuse, Kojak ou Magnum me comprendront. Une preuve supplémentaire du manque de clairvoyance sur ce point est le générique de fin : alors que le film s’achève sur une scène très forte, voire bouleversante (la célèbre scène au tribunal, avec « You’re out of order »), le tout dernier plan est un arrêt sur image sur le visage d’Al, qui essaie de recouvrer ses esprits (en plan rapproché), avec lancement d’une musique joyeuse et désormais ringarde au possible, donc ce brusque changement d’ambiance, vraiment pas en faveur de la dramaturgie, montre que la production n’avait pas de grandes connaissances sur l’importance de la musique, ou a pensé qu’il fallait quelque chose pile dans l’air du temps (et donc voué à mal vieillir).
Je vois que, par la suite, Al a retrouvé Barry Levinson, auteur de ce très bon scénario, pour les téléfilms La Vérité sur Jack et Paterno (côté réalisation) ainsi que le très mauvais film de cinéma The Humbling, et même côté production pour Donnie Brasco et Phil Spector.
Je vois aussi que le réalisateur, Norman Jewison, est mort il y a quatre mois, à l’âge de 97 ans et demi…
PS - Je découvre qu’un internaute a mis en ligne l’intégralité de la célébrissime scène de la plaidoirie (c’est la vidéo la plus vue sur sa chaîne YouTube, laquelle a la particularité d’être un sacré méli-mélo sur le plan thématique). Pour ceux qui n’ont pas l’intention de regarder le film en entier, prière de visionner ce splendide monologue de dix minutes et demie, un régal, et l’un des sommets du cinéma moderne !