1973 L'Épouvantail (Scarecrow)

J'ai énormément aimé... Sans entrer dans la catégorie des films qui, esthétiquement, sont d’emblée au sommet du panthéon (Le Troisième homme, La Strada, Docteur Jivago, À bout de souffle…), ce film a un charme fou et coche toutes les cases. Ce n'était pas gagné d'avance pour moi, d'abord parce que, en voyant le film pour la première fois (j’ai complètement changé d’avis par la suite en le revoyant), le long prologue quasi totalement silencieux (avec les deux personnages faisant du stop sur une route déserte) m'a vite ennuyée (malgré le fait que c'est une idée géniale de début de film et que c'est magnifiquement filmé), donc j'ai craint le pire ; secundo, l'a priori que j'avais depuis toujours sur ce film (je le voyais comme quelque chose d'assez baba cool) ne m'avait jamais donné envie de le voir (tout en sachant qu'il avait eu la Palme d'or) : deux hobos sur la route, à la limite de la clochardisation, une photographie peut-être assez moche, comme c'était très fréquemment le cas dans les années 70, et ce titre pas passionnant pour deux sous.

Le grand point fort du film est les deux personnages, leur amitié symbiotique, et leur incarnation par deux très grands acteurs : c'est rare d'être confronté à des personnages si attachants, tellement aimés par le réalisateur, si finement caractérisés par petites touches, et chez qui l'on devine tant de choses SANS QUE cela soit expliqué. J'aurais adoré qu'il y ait une suite, surtout que, comme pour Panique à Needle Park, la fin est complètement ouverte.

Plus tard, en me renseignant sur Internet, je serai très surprise de découvrir que la presse de l’époque a jugé que l’amitié entre les deux personnages n’était pas très bien montrée — je pense exactement l’inverse : la progression et la variété de leur lien amical et de leur solidarité sont magistralement et très subtilement réussies — et que Hackman et Al ne s’entendaient pas du tout sur le tournage (on ne peut pas le soupçonner une seconde). Je serai aussi touchée d’apprendre qu’Al s’est toujours senti une âme d’acteur comique et que certaines des séquences ludiques de ce film resteront, pour ainsi dire, presque le seul témoignage de cela… On peut fortement regretter que cette aptitude qu’il pensait avoir pour des rôles amusants n’ait jamais été employée et ait été laissée de côté par les producteurs, qui manquent souvent d’imagination. C’est perdu pour toujours. Qui sait… Peut-être que, par exemple, les rôles de Gene Wilder lui auraient très bien convenu.

Mon admiration pour Jerry Schatzberg est totale... Faire en quatre ans trois films aussi différents, pleins d’humanité, beaux et sensibles que L’Épouvantail, Panique à Needle Park (l'un urbain et dur, l'autre champêtre et joyeux, nous montrant l’Amérique profonde avec amour et telle qu’elle est rarement montrée) et Portrait d’une enfant déchue, avec à chaque fois un montage fantastique (tonique, inventif et toujours judicieux, à part quelques rares longueurs), une photographie travaillée, une réalisation et une narration originales, c'est prodigieux. Et l’introduction (de sept minutes), à nulle autre pareille, de ce film est l’une des introductions les plus originales et, disons le mot, les plus géniales de l’histoire du cinéma, c’est une certitude. Il faut avoir une énorme confiance en soi pour oser faire une introduction si longue, où il ne se passe rien et où l’on ne sait rien sur les deux protagonistes. Également, la jubilatoire scène de strip-tease d’Hackman, où on le voit de plus en plus confiant et hilare, et où, à l’inverse, on devine l’insondable tristesse du personnage d’Al, comme blotti dans un coin de la grande salle du bar-restaurant, est un bijou de direction d’acteurs et de caractérisation de personnages.

C'est une énigme que Schatzberg n'ait pas vraiment fait carrière par la suite. Voir la liste de sa filmographie serre le cœur : devenu réalisateur assez tard (à quarante-trois ans), il aura eu très, très peu de temps le vent en poupe, et seulement au début de sa carrière, ses autres films n’étant pas passés du tout à la postérité, malgré la présence de quelques vedettes, dont Gene Hackman de nouveau, et malgré la nomination de l’un de ses acteurs (Morgan Freeman) aux Oscars. Pourquoi ?? On ne peut même pas supposer un caractère difficile, car, dans ses interviews filmées devant un public (où son phrasé est étonnamment proche de celui d’Al dans la même situation), Schatzberg est un amour, un summum de coolitude (et de juvénilité : regardez sur YouTube ses deux interviews — qui n’ont récolté que quelques dizaines de vues — en 2023 à la Cinémathèque de Paris, il a 96 ans et en paraît vingt de moins !). Portrait d’une enfant déchue, en particulier, est non seulement d’une beauté visuelle rare (et je vois que la même malédiction s’est abattue sur le chef op’ : après un départ en fanfare — avec le multi-oscarisé Macadam Cowboy et les deux premiers Jerry Schatzberg —, sa carrière s’est définitivement enlisée) et magnifie la beauté hypnotisante et le talent de Faye Dunaway au plus haut point, mais c’est aussi une extraordinaire description, à la fois clinique et pleine d’empathie, de la dépression et/ou des troubles mentaux. Les quelques secondes où il fait comprendre implicitement au spectateur le viol que l’héroïne adolescente a vécu, et au sujet duquel elle ment depuis le début du film, travestissant avantageusement la réalité pour ne pas sombrer dans la folie, sont un modèle de délicatesse et de confiance envers l’intelligence du public.

Bon, je reviens à L’Épouvantail. Les deux acteurs sont fantastiques : Al incarne à merveille l'enfance, la douceur (quitte à — personne n'est parfait, pas même lui ! — surjouer parfois, l'espace de brefs instants, cette douceur et cette enfance), la décontraction, la pudeur, la gentillesse, la sensibilité, une blessure secrète (très certainement) et une certaine féminité (la tentative de viol qu’il subit de la part d’un prisonnier hétéro est très certainement en lien avec cela).

Petite précision : il est pour moi une évidence que, pour jouer un personnage doux et effacé, il faut un acteur charismatique qui saura ne pas rendre ennuyeux son personnage effacé — c’est donc parfaitement le cas d’Al dans ce film —, un contre-exemple absolu étant Jean Desailly dans La Peau douce ; Truffaut a été un champion du casting toute sa vie, avec comme chef-d’œuvre le fait d’avoir déniché Jean-Pierre Léaud et d’en avoir fait son double à l’écran, mais avoir choisi Desailly, un acteur particulièrement terne (autre exemple, il n’est jamais crédible en inspecteur autoritaire dans Le Doulos, de Melville), pour jouer l’homme marié dont est amoureux le personnage interprété par la plus ravissante et exquise créature possible, Françoise Dorléac, c’est un aveuglement et une erreur de casting d’anthologie.

Quant à Gene Hackman, j'avais une image très terne de lui, puisque je ne le connaissais que dans Conversation secrète, de Coppola, qui m'avait beaucoup ennuyée, mais, dans L'Épouvantail, il est tout simplement extraordinaire... Son visage n'est certes pas celui d'une star, d’un beau gosse, mais est tellement expressif… Et l’assurance qu’il confère à son personnage, son autorité naturelle, son tempérament bourru mais capable d’une affection grandissante pour son compagnon de voyage, tout cela rend son rôle inoubliable...

Une scène que j'ai adorée, en tant que nouvelle fan énamourée du Parrain (les convertis récents sont toujours les plus passionnés !) : lors de la très brève scène où Al se recueille dans une magnifique église baroque, j'ai beaucoup de mal à croire que Schatzberg n'ait pas voulu faire un clin d'œil malicieux au Parrain (bande-son comprise), sorti peu avant, et avec un succès mondial. (Le paradoxe, tout de même, c'est que la séquence fait surtout penser à la scène de baptême qui sera tournée... plus tard, dans Le Parrain II !)

À propos du Parrain : il est notoire qu’Al a joué dans L’Épouvantail pour prendre le contre-pied total de sa récente incarnation de Michael Corleone et de la pénible célébrité écrasante qui s’est ensuivie (il précise néanmoins dans son autobiographie qu’il ne l’a pas fait de façon si consciente que ça), et il est effectivement difficile d’imaginer une plus grande différence entre le rôle d’un jeune parrain richissime, froid, pleinement dans l’auto-contrôle, et moralement lié à sa famille, et ce hobo affectueux, vulnérable, sans le sou et libre comme l’air. Les spectateurs qui ont vu les deux films en salle à l’époque (et, pour les Français, il n’y a eu que sept mois et demi d’écart) ont dû être éberlués par l’éventail de ses possibilités de jeu.

Nota bene : j'ai été très surprise de percevoir la ressemblance entre le personnage d’Al et celui de Dustin Hoffman dans Macadam cow-boy, sorti quelques années plus tôt... Il y a, bien sûr, la ressemblance physique entre les deux acteurs (et surtout leur petite taille, qui a une importance dans les deux films), mais, tout de même, je suppose qu’Al a dû être un peu influencé pour incarner son personnage.

Addendum - Intriguée par le fait que, après les trois premiers films de Jerry Schatzberg, qui ont eu une certaine postérité, ses neuf autres films sont tombés dans l'oubli, j'en ai regardé deux, pour me faire une idée.

D'abord celui de 1979, La Vie privée d'un sénateur, titre français très éloigné du titre original, La Séduction de Joe Tynan. Les problèmes du film sont vite manifestes.

Primo, malheureusement, le sujet n'est pas aussi fort que pour Needle Park (des junkies attachants), L’Épouvantail (des voyageurs sans-le-sou attendrissants) et Portrait d'une enfant déchue (les troubles mentaux d'une très belle femme mannequin, et l’incarnation à fleur de peau par Faye Dunaway au sommet de sa beauté surnaturelle). Ici, il s’agit juste de la vie sentimentale et familiale d’un sénateur gentil et au physique assez passe-partout, le tout traité en comédie dramatique plutôt classique…

Secundo, le début est très, très mauvais (même le générique, montrant gentiment des enfants dans un car qui traverse la ville, avec une musique qui a mal vieilli, est mauvais, et contraste douloureusement avec l’incomparable et iconique première séquence de L’Épouvantail) : je pense que ce premier quart d'heure devrait être montré dans toutes les écoles de cinéma pour montrer ce qu'il ne faut pas faire. En effet, le film nous place d'emblée dans les coulisses du Sénat américain, mais l’objet de l’intrigue est peu compréhensible et peu intéressant, à ce stade-là de l'histoire en tout cas, et le sérieux solennel avec lequel les personnages parlent agace et intervient vraiment à contretemps dans la narration, c'est-à-dire bien trop tôt. Deuxième défaut qui plombe littéralement le premier quart d'heure, c'est que le cinéaste veut nous montrer la complicité et le sentiment amoureux qu'il y a entre le héros et sa femme, sauf que ces scènes sont terriblement longues et surjouées (on nous montre deux époux, qui vivent ensemble depuis dix-neuf ans, batifolant et se bécotant comme un couple d’adolescents en phase de séduction).

Tertio, le problème est que le film est entièrement centré sur l'acteur Alan Alda (qui a aussi écrit le scénario) : aussi sympathique et talentueux soit-il (je suis fan de Tout le monde dit I Love You, de Woody Allen, où il joue le père), il fait trop Monsieur-Tout-le-monde pour être la figure centrale d’un film entier. Pour ne rien arranger, Schatzberg a clairement trop demandé à Meryl Streep de suinter l’attirance pour le héros et de se mettre en « opération charme », ça manque grandement de subtilité.

Ce n'est qu'après la première demi-heure que le film décolle vraiment, avec le début de la liaison entre Alan Alda et Meryl Streep : elle, évidemment, irradie, elle était alors au sommet de sa beauté préraphaélite (visage d’ailleurs très proche de celui de Faye Dunaway dans le premier film de Schatzberg neuf ans plus tôt), et son jeu est, comme toujours, très riche, délicat et inspiré. De là, un premier miracle arrive : quand on voit Alan Alda désormais sous le jour d'un amant très amoureux et avec un côté assez comique, il est transfiguré ; sans avoir le charisme d’un certain Al P. ou autres stars, il devient vraiment intéressant à voir évoluer, contrairement à ce que je viens d’écrire au sujet de la première demi-heure. Et, là encore, c'est dans les écoles de cinéma du monde entier qu'il faudrait montrer la scène du premier baiser entre eux deux et la scène de leur premier rendez-vous à l'hôtel : dans les deux cas, la direction d’acteur de Schatzberg a réussi à produire quelque chose d'exceptionnel sur le plan de l'attirance physique XXL entre deux personnages (je ne peux dire « deux acteurs », il faut bien séparer les deux, c’est un métier !) tout en ayant beaucoup de tact pour montrer cela (c’est sensuel, pas vulgaire).

Un autre élément qui contribue à faire de la deuxième moitié, et en particulier de la fin du film, une superbe réussite est que l'actrice qui joue l'épouse, Barbara Harris (mini-silhouette et mini-visage dur de faune à crinière surgonflée et d’une couleur indéterminée, qui s’oppose parfaitement au visage doux de Meryl Streep et à ses longs cheveux blonds délicatement attachés en chignon à l’ancienne), et qui, au début du film, surjoue dans chaque geste et chaque expression, de façon pénible, une personne nerveuse et une épouse dévouée (bien que j’admette que ça contraste très efficacement avec l’ultra-décontraction d’Alda), joue magnifiquement bien à partir du moment où son personnage est dans la souffrance de se savoir une femme trompée. Elle est désormais tout en intériorité, en souffrance rentrée, elle est exceptionnelle ; elle me fait penser à ce que l'on dit en règle générale de Gena Rowlands, mais en bien plus intense, je trouve.

Par ailleurs, la science du casting de Schatzberg et son don de directeur d’acteur atteignent un sommet avec le second rôle extraordinaire d’un sénateur truculent et grossier, joué de façon complètement originale et inédite par Rip Torn (sans être vraiment beau, il a une présence qui crève l’écran), acteur que je découvre totalement (incroyable que ni lui ni Barbara Harris n’aient été nommés aux Oscars pour ces seconds rôles).

Le deuxième film est L’Ami retrouvé, sorti en 1989. Je n'irai pas par quatre chemins : je ne me souviens pas d’avoir vu un film aussi touchant et bouleversant sur la montée du nazisme. Je dirais même, sur le nazisme tout court, puisque, bien que le film n'évoque que l’année 1932, donc rien sur la Shoah, rien sur les camps, tout est dit, de façon très subtile et très délicate. La montée insidieuse du nazisme est parfaitement rendue par petites touches très bien dessinées et très équilibrées, on nous montre l'amitié brisée entre un jeune bourgeois juif et un jeune aristocrate de parents antisémites, la fin d'un monde pour les Juifs allemands, et Schatzberg prouve une fois de plus à quel point il a une délicatesse infinie pour évoquer les êtres humains : voir ce vieil homme (le personnage principal), qui n'a plus jamais voulu parler allemand — sa langue natale — ou en lire depuis 55 ans, et qui va sur les traces de sa jeunesse brisée, sur les traces de la tombe de ses parents, c'est infiniment poignant, et sans effets outrancièrement tire-larmes. En outre, les quelques images d'archives (certaines montrant Hitler), placées aux deux tiers du film, sont bouleversantes, extrêmement bien choisies et bien positionnées, pour marquer l'avant et l'après. Le fait que Schatzberg soit lui-même juif nous fait évidemment nous douter que ce sujet a dû lui tenir terriblement à cœur. Le titre original, Reunion, ainsi que le titre français et la belle affiche du film (celle en noir et blanc, avec une photo déchirée en deux) illustrent bien cette thématique poignante, le motif tragique de la fin de cette très jolie amitié entre deux lycéens.

La réussite de ce film est d’ailleurs grandement aidée par le casting des deux jeunes héros : il est difficile de croire que ces deux acteurs faisaient là leurs débuts à l'écran, qu'ils étaient anglais et non pas allemands, et qu'ils n’ont guère fait carrière par la suite. Ils sont littéralement parfaits. Le visage de l'un des deux est un morphing entre le visage d'Elvis jeune et celui de Tom Hardy jeune, avec encore ses rondeurs de petit garçon. L'autre incarne parfaitement l'aristocrate aryen, grand, mince, un peu sec dans ses gestes, là où l’autre est tout en rondeurs. Le fait que leur amitié ait été soudainement brisée par l'avènement d'Hitler est d'autant plus bouleversant qu’elle est faite d'une grande candeur enfantine (alors que, pourtant, on les croit parfois tout près d’une attirance physique homosexuelle, mais rien, strictement rien, ne le corrobore).

Autre réussite du film : j'ai rarement vu un film qui me donne à ce point-là l'impression d'être réellement dans le passé. Il y a des films d'époque où l'on ne serait pas étonné de voir un smartphone dépasser d'une poche, où ça sent le tournage à plein nez, tandis que là, on a en permanence l’impression d'être réellement en 1932, ça renforce à la puissance mille l'émotion de voir ce drame qui se noue peu à peu sous nos yeux. Cela est en bonne partie dû à la photographie très particulière : je lis sur Wikipédia que Schatzberg et son chef opérateur (qui, malheureusement, n'a pas eu une carrière très productive, mais qui, sur ses six films avec Tavernier, a obtenu trois fois le César de la meilleure photographie, excusez du peu) ont mélangé du noir et blanc et de la couleur, je ne sais pas comment c'est possible, mais ça donne ces couleurs très ternes, comme passées, délavées. Cette atmosphère douce et surannée, comme en apesanteur et hors du temps, fait parfois penser au Jardin des Finzi-Contini, de Vittorio De Sica, et à Chambre avec vue, de James Ivory (sans comparer la photographie de ces différentes œuvres).

Le plus surprenant, et j'aurais peut-être pu commencer par ça, c'est que, même en ayant vu quatre films de Schatzberg auparavant, comme c'est mon cas, on ne peut absolument pas deviner une seule seconde que ce film-ci est aussi de lui, il n'a rien en commun avec ses films américains.

Comme pour La Vie privée d'un sénateur, dont je viens de parler plus haut, le premier quart d'heure n'est pas très réussi : l'image très terne, le montage très haché (peut-être pour montrer l'espace mental du personnage, rescapé d'un immense traumatisme), avec des images du présent et ce qui semble être des images du passé, font craindre le pire, ça a l'air d'un téléfilm allemand des années 80 diffusé dans l'après-midi. Il faut vraiment voir le film dans son intégralité, puis revoir l'introduction pour la comprendre, ce qui est un petit peu dommage pour les gens qui ont vu le film en salle. D'ailleurs, dans l'introduction, l'acteur qui joue le vieux monsieur, Jason Robards, et que je ne connaissais absolument pas (je découvre qu'il a épousé Lauren Bacall quatre ans après la mort de Bogart, ça ne s'invente pas), paraît terriblement banal et même inintéressant. C'est quand on le retrouve en fin de film, après avoir vu le récit de sa jeunesse, que l'on est suspendu à chacun de ses gestes, chacune de ses émotions soigneusement dissimulées depuis 55 ans. Je pense que ce film devrait être montré à tous les adolescents pour qu’ils voient de façon simple à quel point le nazisme a détruit des vies et des familles en Allemagne.

En plus du premier quart d’heure mal inspiré, le seul autre point faible du film est la musique de Philippe Sarde, compositeur pourtant bien connu, à la carrière pléthorique (ça va jusqu'à treize films pour la seule année de 1981…) : la musique qu'il a faite pour ce film ressemble à une fanfare de rue mollassonne et pachydermique qui ne cadre pas du tout, mais alors pas du tout, avec l'époque du récit et surtout avec la délicatesse du film, cela détonne désagréablement.

Un autre aspect atypique de ce film est que c'est le dernier du grand décorateur Alexandre Trauner, sachant qu'il a commencé sa carrière avec L'Âge d'or, de Bunuel, et qu’il a participé à tous les célèbres films de Marcel Carné ainsi qu’à Othello, d’Orson Welles, film que j'adore. Enfin, une carrière brillantissime.

Bref, tout le film est irrigué par une grande douceur, une mélancolie pour un monde perdu, un monde d'avant le cataclysme. Un très, très, très joli film, injustement méconnu, dont je suis sortie bouleversée (ce qui m’arrive rarissimement), et qui me donne envie d’aller encore davantage à la découverte du reste de la filmographie de Schatzberg.